alain la technique
Alain met en évidence la différence qui réside selon lui entre la science et la technique : la technique relève de l’action, de la pratique, tandis que la science rélève du savoir, de la théorie. Pour illustrer cette thèse, il met en parallèle deux types dhommes : l’homme instruit par la science et le technicien ; il donne, dans la deuxième partie du texte, l’exemple de l’agronome et du paysan. J’appelle technique ce genre de pensée qui s’exerce sur l’action même et s’instruit par de continuels essais et tâtonnements. ‘ Le mot « technique » vient du grec « ‘techné » qui signifie « une disposition à produir La technique, au sen aut suivre pour prod e p g La définition alinienn gle vraie » (Aristote). mble de règles qu’il sensiblement de celle d’Aristote. La technique, pour Alain est un genre de pensée qui s’exerce sur l’action même, plutôt qu’une action qui se fonde sur une règle.
Pour Alain, la technique est une pensée pragmatique (du grec « pragma » = action) tournée vers l’action, la fabrication, le faire et non vers la « théorie » (du grec théorein » = voir), elle ne s’instruit pas, selon Alain, par la théorie, le raisonnement, le savoir, mais par l’action elle-même, à travers une série d’essais et d’erreurs corrigées (de « tâtonnements »). our illustrer cette thèse, prenons l’exemple du céramiste.
Avant de trouver la ‘ to next page « bonne température », il a commencé peut-être par se tromper en chauffant son four à une température trop basse – dans ce cas l’objet n’a pas cuit convenablement – ou trop forte – dans ce cas l’objet a été perdu. A force d’essayer, le céramiste finit par trouver la bonne température de cuisson. La pensée du céramiste s’est exercée sur l’action comme dit Alain : la cuisson de l’objet, la réussite, la finalité, le résultat plutôt que sur le processus de cuisson lui-même et l’énoncé d’une loi concernant la température e cuisson de la céramique.
On peut penser également à la différence qui sépare le médecin du guérisseur dont parle Edmund Husserl au début de sa conférence de Prague (E. Husserl, La crise de Ihumanité européenne et la philosophie, 1935) : toutes les civilisations, toutes les cultures possèdent des savoirs et des pratiques destinés à soigner et à guérir les maladies.
Les médecines naturelles reposent sur l’observation et l’expérience (au sens de transmission dune mémoire, d’un savoir ancestral, d’une expertise empirique concernant, par exemple les propriétés des plantes), la médecine comme « science de la nature », qui e s’est véritablement développée en Europe qu’à partir de la deuxième moitié du XIXème siècle (pensez a la satire des médecins du XVIIème siècle dans les pièces de Molière) est une médecine basée sur l’observation en tant qu’auscultation des symptômes (invention du stéthoscope par Laennec), mais aussi sur l’expérimentation (Pasteur, Claude Bernard) et sur des bases théorique 2 par Laennec), mais aussi sur l’expérimentation (Pasteur, Claude Bernard) et sur des bases théoriques : l’anatomie et la physiologie qui reposent à leur tour sur la physique et la chimie. La médecine occidentale moderne est une lointaine héritière moins d’un savoir que d’une attitude face au monde, née en Grèce, vers le Vème siècle avant Jésus-Christ et illustrée par Hippocrate). Au lieu de chercher à guérir le patient en le réintégrant dans un ordre cosmique (religieux) altéré, elle commence à se séparer d’une conception religieuse (mythique) de la maladie pour analyser ses causes naturelles et ses effets. La science est un ensemble de connaissances et de recherches ayant un degré suffisant d’unité, de généralité, et susceptibles d’amener les hommes qui s’y consacrent à des conclusions oncordantes, qui ne résultent ni de conventions arbitraires, ni des goûts ou des Intérêts individuels qui leur sont communs, mais de relations objectives qu’on découvre graduellement et que l’on confirme par des méthodes de vérification définies. » (André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie) Il y a, pour Alain, deux manières de s’instruire : celle de « l’homme ignorant » et celle de « celui qui s’est d’abord instruit pas la science ».
Lhomme ignorant s’instruit en agissant, « en usant, en touchant, en pratiquant », contrairement à celui qui s’est Instruit pas la sclence. Alain ajoute que la différence entre ces deux hommes (le technicien et le savant) réside dans le fait que le technici 3 différence entre ces deux hommes (le technicien et le savant) réside dans le fait que le technicien ne distingue pas l’essentiel de l’accidentel, que tout est égal pour lui et qu’il n’y a que le succès qui compte. Contrairement à l’homme de science, le technicien ne distingue pas l’essentiel de l’accidentel. « L’essentiel », c’est la loi, la définition, la généralité, la raison d’être de quelque chose, l’accidentel ici, ce sont plutôt les effets pratiques.
Reprenons ‘exemple du céramiste : le céramiste savant connaît la loi de la cuisson de la céramique, il sait pourquoi la céramique cuit à telle température (savoir essentiel), le céramiste « ignorant » procède par essais et erreurs ne sait pas pourquoi la céramique cuit à telle ou telle température, mais comment (à quelle température il faut chauffer le four pour cuire la céramique). Tout est égal pour le technicien, la seule chose qui compte est le succès, la réussite de son projet : la cuisson de la céramique et non la connaissance des lois qui expliquent le processus de cuisson de la céramique en énéral. Dans la deuxième partie du texte, Alain donne l’exemple d’un agronome et d’un paysan. le paysan peut se moquer de l’agronome parce qu’il ne distingue pas l’essentiel (la connaissance) de l’accidentel (le succès).
Le paysan ne connait pas le « pourquoi » des choses : il ne sait pas pourquoi telle ou telle procédé n’a pas donné ce qu’on attendait, mais il sait « comment’ il faut s’y prendre pour réussir. Les « petites différences » qu’il ne connaît 4 sait « comment » il faut s’y prendre pour réussir. Les « petites différences » qu’il ne connaît point (c’est-à-dire qu’il ne peut as expliquer), mais dont pourtant il tient compte, ce sont les détails accidentels qu’Alain a évoqués plus haut et qu’il oppose à « l’essentiel » que l’agronome connait, sans soupçonner l’importance de l’accidentel. Si l’on se place du point de vue de l’efficacité, de la réussite, on peut donc dire, comme le suggère Alain, que le paysan est, dune certaine manière, « supérieur » à l’agronome, la pensée technicienne « qui essaye avec les mains » à la réflexion.
On peut se donc se demander si ces « détails accidentels » négligés par la science ne seraient pas, dune certaine façon « essentiels », ar exemple le fait qu’il ne faut pas « fatiguer la terre » (labourer trop profondément), et qu’il ne faut pas utiliser des pesticides et des engrais chimiques ou supprimer les haies entre les labours et qu’il faut planter « à la lune montante » L’agronome qualifierait sans doute de « facteur accidentel » (négligeable) l’influence de la lune sur la croissance des plantes et parlerait de « superstition », parce qu’on ne peut pas « l’expliquer » dans l’état actuel de la science, alors que ce facteur était jadis essentiel pour le paysan qui ne pouvait pas l’expliquer davantage, mais qui savait savait par expérience qu’il jouait un ôle non négligeable.
En apprivoisant le feu, en taillant le silex, en fabriquant des outils, l’homme a d’abord « pensé avec les mains ». Pour Alexandre Koyré, la science S en fabriquant des outils, Ihomme a d’abord « pensé avec les mains ». pour Alexandre Koyré, la science consiste dans la recherche de la vérité, mais la recherche de la vérité n’a pas toujours été une préoccupation majeure : « Aussi surprenant que cela pu sse nous paraitre, on peut édifier des temples et des palais, et même des cathédrales, creuser des canaux et bâtir des ponts, développer la métallurgie et la céramique, sans osséder de savoir scientifique – ou en n’en possédant que les rudiments. » La science n’est pas nécessaire : n’exagérons pas son rôle historique. (Alexandre Koyré, Études d’Histoire de la pensée scientifique) Nous avons vu que la définition alinienne de la technique : même et s’exerce par de continuels essais et tâtonnements » différait sensiblement de celle d’Aristote : « une disposition ? produire accompagnée d’une règle vraie ». Mais il semble difficile de séparer la technique de la science depuis le projet cartésien de « nous rendre maître et possesseurs de la nature ». Nous sommes entourés d’objets techniques qur sont, comme dit Gaston Bachelard des « théories matérialisées » et le technicien moderne est aussi un scientifique. Pour Heidegger, la technique moderne, dans son « essence » est bien différente de ce que les Grecs entendaient par « techné » l’ensemble des règles qui définissent les moyens à employer en vue d’une fin. Elle diffère également de la conception alinienne. Elle est un mode de pensée qui re d’une fin.
Elle diffère également de la conception alinienne. Elle est un mode de pensée qui repose sur une modification profonde (ontologique) de la conception des rapports entre ‘homme et la nature : l’homme ne pense plus qu’à gérer, à calculer, à prévoir. La « pensée calculante » veut dominer la nature en « l’arraisonnant », en la dépouillant de toute épaisseur qualitative et en la rendant transparente à la pensée mathématique. Pour Heidegger, le danger de la technique ne réside pas seulement dans la bombe atomique ou un accident dans une centrale nucléaire, mais dans le fait que la technique est devenue l’unique mode de pensée de l’homme moderne.
La technique n’est plus un projet dont l’homme serait encore le maître, comme à la Renaissance et même jusqu’au XVIIème siècle orsque Descartes formait, dans le Discours de la Méthode, le projet de « devenir maîtres et possesseurs de la nature », mais c’est bien plutôt l’homme qui s’est mis au service de la technique. Face au danger de la technique moderne, la conception alinienne du technicien « qui règle ses actions sur de petites différences qu’il ne connaît point » et « qui essaye avec les mains au lieu de chercher par la réflexion » propose peut-être une alternative en réhabilitant un genre de savoir différent du savoir scientifique, soucieux de nouer des relations plus humbles, plus respectueuses et plus satisfaisantes avec la nature et avec le monde.