Analyse des politiques publiques
Nous en profitons également pour remercier les étudiants en politiques publiques que nous avons eus tous les deux depuis une dizaine d’années ; leurs questions, critiques (et parfois leurs silences interrogateurs… ) nous ont obligés à essayer de rendre plus clair et concret l’enseignement de cette atière. Nous espérons que ce livre en portera la trace. 8 le rôle de l’État dans l’économie. Quelles sont les possibilités de stimuler la conjoncture avec des moyens d’action publique ?
Et comment réguler de façon efficace une industrie financière désormais globalisée ? On le volt, les politiques publiques sont au cœur du questionnement sur le mode de gouvernement des sociétés contemporaines. ‘analyse des 20F 12 de présenter les principaux acquis de ces travaux, d’en examiner les théories centrales tout comme les controverses. Dans cette introduction, nous commencerons par préciser ce que l’on peut ntendre par « politique publique puis nous indiquerons ce que signifie le travail d’analyse des politiques publiques.
Qu’est-ce qu’une politique publique ? L’activité des gouvernements est extrêmement variée : ils prélèvent des impôts, accordent des subventions, édictent des lois, redistribuent des revenus, recrutent et gèrent du personnel, font la guerre, conduisent des relations diplomatiques avec d’autres pays ou avec des organisations internationales, prononcent des discours, etc. Est-ce que chacune de ces actions constitue une politique publique ?
Ou faut-il qu’il y ait inimum de cohérence entre un ensemble d’actions différentes ? Parler de politiques publiques n’est-il pas abusif pour désigner un ensemble d’opérations aussi hétérogènes ? Un haut fonctionnaire britannique remarquait avec humour : « Une politique publique, c’est un peu comme un éléphant – vous le reconnaissez quand vous le voyez, mais vous ne pouvez pas facilement le définir » (Cunningham 1963, p. 229).
Devant cette difficulté, on peut s’entendre sur une définition conventionnelle : « Une politique publique se présente 30F 12 mettre en œuvre cette politique, les autorités publiques isposent de la capacité potentielle d’utilisation de la violence légitime ; – l’existence d’un programme avec des mesures concrètes, qui peuvent être des mesures coercitives (obliger à), incitatives (prévoir une baisse des prélèvements si) ou distributives (prévoir l’attribution de financements à une catégorie de population).
L’existence d’une politique publique suppose une cohérence entre plusieurs actions gouvernementales. Une simple décision administrative ne suffit pas à faire une politique publique. Il est nécessaire qu’il y ait un ensemble de décisions interreliées. C’est ce que soulignent aussi Rose et Davies (1994, p. 4) lorsqu’ils parlent d’un programme d’action gouvernementale « comme [une] combinaison spécifique de lois, d’affectations de crédit, d’administrations et de personnels dirigés vers un ensemble d’objectifs plus ou moins clairement définis La difficulté vient de ce que la cohérence voulue des décisions est souvent mise à mal dans la pratique. Derrière l’unicité d’un programme d’actions peuvent se nicher des concurrences administratives, une pluralité d’actions hétéroclites sans lien entre elles, seulement rassemblées formellement au sein d’un même programme.
Dès lors, la question de la cohérence des programmes d’action devient en elle-même une echerche. 4 2 visée est d’abord pragmatique : il s’agit de comprendre pour agir. L’analyste des publiques se donne d’abord pour objectif d’aider les décideurs faire les bons choix politiques. C’est dans ce cadre que vont s’institutionnaliser ce que l’on appellera les Policy sciences, dont l’un des promoteurs fut Harold Lasswell (voir notamment Lerner & Lasswell 1951).
Mobilisant les apports d’une multiplicité de disciplines scientifiques, les Policy sciences 10 visent notamment à contribuer à la résolution de problèmes, en niant insi la dichotomie entre le savant et le politique, pour proposer savoir engagé. C’est aussi aux États-Unis que ces travaux pénètrent véritablement l’enceinte universitaire au cours des années 1960 : centres de recherche, doctorats, manuels, chaires d’enseignement sy diffusent à un rythme rapide.
Certains ouvrages d’analyse des politiques publiques, ou s’y rapportant, commencent à faire partie des classiques d’analyse de science politique ou de sociologie. À Haruard, au cours des années 1960, se monte la Kennedy School of Governement, d st précisément de 2 (CSO) à Paris, dirigé par le sociologue Michel Crozier, ou du Centre echerche sur le politique, l’administration et le territoire (CERAT) Grenoble, autour de Lucien Nizard, nourrissent, chacun à leur marnere, l’analyse des politiques publiques dans une perspective de sociologie de l’État.
Ces recherches ont en commun de viser à donner une image plus réaliste de l’action de VÉtat, en montrant comment ce dernier est travaillé par des tensions contradictoires, et remettent en cause en cela une vlslon marxiste un peu simpliste répandue à l’époque qui consiste à voir l’État comme une machine au service de la classe dirigeante. Mais en même temps, des divergences apparaissent (Smith 1999, Musselin 005). es chercheurs du CSO ont développé une approche insistant sur les stratégies et les rapports de pouvoir au sein des administrations. Ils ont notamment montré le caractère très fragmentaire de l’administration française en insistant sur les rapports de concurrence entre les grands corps et les différentes organisations administratives ainsi que les pratiques informelles d’arrangement entre acteurs participant à un même système d’action.
Les chercheurs du CERAT sont restés plus attachés à mettre en évidence les facteurs idéologiques de l’action publique, les modes de régulation plus lobaux de la société fran aître la dimension 6 2 américaines pour analyser l’action de l’État en France et met mal l’image traditionnelle d’un État uniforme dont les décisions s’imposent à la société. Aujourd’hui, c’est un domaine de recherche important, en science politique et sociologie notamment, avec ses revues, ses groupes de recherche, ses financements et ses manuels.
Le développement international de cette orientation de recherche doit se comprendre à l’entrecroisement entre histoire politique et institutionnelle et évolutions scientifiques. L’analyse des politiques publiques croît avec le éveloppement de Finterventionnisme de l’État, du New Deal des annees 1930 aux États-Unis au déploiement des interventions économiques et sociales dans les années 1 950 et 1960. La croissance de l’État social suscite un large espace de questionnements autour des effets associés aux interventions publiques ainsi que des conditions dans lesquelles les décisions sont prises.
Cette croissance de Pintervention de FÉtat se mesure d’abord en termes budgétaires : partout dans les pays de l’OCDE, les dépenses gouvernementales ont augmenté de façon spectaculaire depu•s la Seconde Guerre mondiale. Cette croissance de l’État s’accompagne d’une diversification des instruments d’action publique. L’État continue d’utiliser les instruments traditionnels (législatif et budgétaire notamment), mais de nouveaux leviers appar développent : outils comportant des strates successives, et où coexistent les activités et les modes de gestion les plus variés » (Chevallier 2002, p. 181).
Mais le développement de travaux sur les politiques publiques également se comprendre en relation avec les changements internes au champ scientifique. Il s’inscrit dans l’amplification des études emprlques de l’après Seconde Guerre mondiale, dont l’approche ehavioraliste (centrée sur l’étude des comportements des acteurs politiques) a constitué l’emblème, et prend appui sur le développement de nouvelles approches (théories des organisations, analyse de la décision, etc. ). L’analyse 12 politiques publiques traduit en cela une double rupture par rapport aux approches traditionnelles de l’État.
C’est d’abord une rupture par rapport à la tradition juridique, qui aborde l’État à partir des normes de droit qui régulent l’activité de ses organes, alors que l’analyse des politiques publiques essaie d’en démonter le fonctionnement, en s’attachant aux activités e ses différentes composantes et de leurs Interactions avec des acteurs formellement extérieurs à la s hère étatique. C’est aussi une rupture avec et constitue l’un des pôles de développement important de la science politique et de la sociologie (ainsi que du management, mais cet ouvrage est centré sur la sociologie et la science politique).
Elle a également considérablement changé. Elle s’est inscrite dans le champ universitaire et s’est quelque peu démarquée des orientations assignées par Lasswell. Significativement, à partir des années 1970, on parle plus fréquemment de Policy analysis que de Policy ciences : l’observateur se tient à distance de l’action, il est moins associé aux objectifs de réforme des décideurs et adopte une posture critique vis-à-vis des effets des programmes engagés (Duran 2004, p. 235). Un double déplacement s’est opéré.
Jabord, l’analyse des politiques publiques, si elle conserve une orientation multidisciplinaire, a été travaillée par différentes logiques, pour parties contradictoires : d’un côté, elle s’est elle- même forgée ses instruments d’analyse (au point quelques fois d’apparaître comme une discipline en tant que telle) ; de fautre, elle s’est le plus ouvent Inscrite dans les départements de science politique et — plus rarement – de sociologie au sein des universités, reléguant quelque peu les objectifs ambitieux de multidisciplinarité.
En outre, de nombreux spécialistes de politiques publiques se sont détachés de l’objectif de solutions utiles donner aux gouvernements et ont tenté de construire des théorisations devenue principalement une analyse des politiques (analysis of policy)3. Elle est devenue une sociologie politique de l’action publique, attentive aux transformations des conditions d’exercice du pouvoir politique et de a légitimation (Hassenteufel 2008, Lascoumes & Le Galès 2007).
Des approches théoriques différentes Malgré ce déplacement, on aurait tort de penser que l’analyse politiques publiques constitue pour autant un ensemble de recherches homogène et unifié. Cela est inévitable : le réel est appréhendé partir de perceptions, de théories et de modèles différents.
Par exemple, un analyste cherchant à comprendre la politique étrangère française Vis-à-vis de l’Afrique pourra faire ressortir la protection des intérêts nationaux (des intérêts stratégiques de l’État français mais également de ses essortissants ou des intérêts économiques majeurs) ou la poursuite d’idéaux spécifiques (les droits de l’homme, l’évitement des conflits, la francophonie).