La Dependance
Extrait de la publication O Éditions Gallimard, 1979. Au Professeur G. Coscas et à son équipe, avec reconnaissance et amitié. Extrait de la publicati Sni* to View «ll n’est pas bon que l’homme soit seul. Il s’attachera à sa femme, et ils deviendront une même chair. » Genèse. « Hors de moi, vous ne pouvez rien. » Jésus-Christ. « Révolution, je ne crois plus qu’en plus tôt ce courage nécessaire pour la dépendance. En attendant, le lecteur trouvera, sinon tout le détail, du moins l’essentiel de ce que je crois être la dépendance.
En somme, le point de vue ici d4fendu peut se résumer insi qui est dépendant? Tout le monde. De qui et de quoi peut-on être dépendant? A peu près de n’importe qui ou de n’importe quoi, être humain, animal, ,groupe, objet concret ou abstrait. Jusqu’où peut-on l’être? Jusqu’à la mort, celle du dépendant ou celle du pourvqreur, et même après. Il n’y a là aucun goût du paradoxe la dépendance est d’une telle fascinante évidence qu’il ne me paraît guère possible de compter sans elle une . fois qu’on y a un peu réfléchi.
Le dépendant et son pourvoyeur Qui n’a pas assisté à l’affolement panique d’un enfant, erdu dans la foule d’un grand magasin, qui réclame « Maman! » et personne d’autre, que rien ne console, ni bonnes paroles, ni bonbons, ni jouets, et dont le désespoir miraculeusement se dissipe à l’apparition salvatrice ? Qui ne connaît de ces époux qui se « meurent d’inquiétude » au moindre retard de leur conjoint, et dont le malaise s’estompe au printemps au PAG » rif 6 cas, un objet, dérisoire en apparence, semble avoir une telle importance pour certains dépendants que la personne de celui qui le leur procure paraît indifférente.
Il existe, on le sait une espèce de francmaçonnerie es fumeurs; on accepte une cigarette même d’un ennemi et lion offre du tabac même à celui que l’on méprise le fumeur ne se soucie guère de l’état civil de son fournisseur c’est la fourniture qui importe. Ce sont là toutefois des situations limites. Il arrive certes que le pourvoyeur et l’objet de pourvoyance coïncident parce que l’un éclipse l’autre. L’enfant qui suce son pouce semble le préférer à tout l’univers; l’ours en peluche, offert par les parents, semblent les remplacer avantageusement.
Mais, communément, trois élé- ments concourent à établir une équation de dépendance La dépendance celui qui en attend quelque bien; le bien convoité; celui qui le lui procure. Mieux vaut retenir que la dépendance est une relation trinitaire 1 deux partenaires et un objet. Nous les nommerons successivement le dépendant, le pourvoyeur et l’objet de pourvoyance. Et il sera toujours instructlf de se poser les trois questions Qui est dépendant? De qui? Et de quoi?
On voit d’emblée que lion n’est as dépendant de la même manière selon que I fant, un adolescent, un ne sont pas identiques. On n’est pas dépendant de la même manière selon que l’on épend d’un être vivant, humain ou animal, d’un individu ou d’un groupe, d’un objet concret ou d’une entité il n’est pas équivalent de s’attacher à une femme, à un homme ou à un chien, à un parti politique ou à une divinité la qualité des liens et les rituels qu’ils imposent diffèrent sensiblement.
On n’est pas dépendant de la même manière, enfin, selon les divers objets de pourvoyance il n’est pas équivalent de collectionner les amours, les médailles ou les papillons; il n’est pas équivalent de boire ou de fumer, de boire du vin, de la bière ou des spiritueux, de fumer du tabac ordinaire, du hanvre indien ou d’ingérer des drogues dures l’accoutumance n’est pas la même ni la toxicité. 1 .
Dans des textes ultérieurs, j’ai proposé d’illustrer cette relation par un triangle, dont les sommets représenteraient successivement chacun de ses termes. (Note de 1983. ) Le dépendant L’objet de pourvoyance ArnAA Le pourvoyeur D’où, soit dit en passant, une triple perspective possible sur la dépendance selon la personne du dépendant, selon celle du pourvoyeur et selon l’objet de pourvoyance. Nous nous en tiendrons ici au point de vue du dépendant, dont le portrai rincipal de ce innombrables.
Nous ne les mentionnerons que dans la mesure où ils éclairent la personnalité du dépendant. Et si nous nous étendons un peu plus sur le pourvoyeur, nous n’essayerons pas davantage d’en proposer une peinture directe et complète nous nous bornerons encore à ce qui, en lui, peutnous servir à mieux comprendre le dépendant. Notons enfin qu’une équation de dépendance n’est pas immuable. La vie des passions est aussi brève quelquefois que celle des fleurs du feu; les flammes se transforment en braises et les braises en cendre.
En dépit de la volonté du dépendant, les pourvoyeurs vont et iennent ou varient; les objets de pourvoyance s’épuisent ou s’étiolent. Et, surtout, les années passant, le dépendant lui- même n’est plus identique. Deuil, séparation ou rencontre nouvelle, transformation du contexte, fami- lial ou amical, événements collectifs, déprimants ou exaltants, mutation ou secousse dans son univers psychique, le profil du dépendant peut se trouver étonnamment modifié.
Ses habitudes anciennes lui deviennent quasi étrangères, il en contracte de nouvelles, il paraît avoir changé de personnage et de vie. Tel joueur, qui passait ses journées et ses nuits dans les ripots, n’en conserve plus qu’une nostalgie amusée; tel buveur invétéré refuse avec fermeté la moindre goutte d’alcool. Par contre, les voilà transformés quelquefois en militant dévoué ou en croyant zélé. Bref, à l’instar de celui du dominé, le portrait du dépendant est évidemment dynamique. ‘instar Nous essayerons, toutefois, d’en souligner les traits principaux, les plus fréquents et les plus stables, d’où l’on pourrait déduire tous les autres. Le duo Cette physionomie globale du dépendant est assurément fonction de celle de son pourvoyeur tel père, tel ils, mais aussi tel fils, tel père et même tel époux, telle épouse et l’inverse. La manière dont le pourvoyeur est, lui-même, engagé dans la pourvoyance, dont il considère, avec faveur, ennui ou révolte, son exigeant partenaire, dont il répond, plus ou moins bien, à ses demandes, retentit sur le dépendant.
En retour, la conduite du pourvoyeur n’est pas indépendante de celle du dépendant. Tout enfant, on le sait, est l’enfant d’une mère donnée, mais tout enfant marque la naissance d’une certaine mère. Si l’émotivité, ou la froideur de la mère influe sur le développement de son nfant, le caractère de celui-ci, son aisance à vivre ou ses difficultés ne sont pas sans conséquences sur le destin de sa mère. ? Lorsque je remplace l’un de mes collègues, confie un médecin, je peux tracer son profil ? partir de ses patients. Chaque médecin finit par assembler autour de lui les malades qui lui conviennent, autant qu’il leur convient. IJn anxieux ne recherche pas un médecin exagérément lacide, mais un interlocuteur capable, par intuition ou p , de pas un médecin exagérément placide, mais un interlocuteur capable, par intuition ou par expérience, de