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L’envol vers le Cloud: un phénomène de maturations multiples Grégoire Tiers, léseg, School of Management LEM (IJMR CNRS 8179), 3 Rue de la Digue, 59000 Lille, France, gtiers@gmail. com Grégoire Tiers travaille pour une start-up dans le domaine du Cloud-Computing. Diplômé de l’Iéseg, School of Management, ayant étudié à l’Université de Sherbrooke, Canada, son travail a été publié dans la conférence AIM. Ses recherches portent principalement sur le Cloud-Computing.

Gaëtan Mourmant, léseg, School of Management – LEM (LJMR CNRS 8179), 3 Rue de la Digue, 59000 Lille, France, gmourmant@gmall. Gaétan Mourmant a or61 Dauphine et Georgia te Sni* to View dans le journal EJIS, a En 2012, il a reçu le p iversité Paris vail a été publié nces ICIS et AOM. la conférence « SIGMIS Computers and People Research ». Ses recherches portent notamment sur l’entrepreneuriat, la rotation du personnel et le Cloud-Computing. Aurélie Leclercq-vandelannoitte, léseg, School of Management – LEM (UMR CNRS 8179), 3 Rue de la Digue, 59000 Lille, France, a. eclercq@ieseg. fr Docteur en Sciences de gestion de l’université Paris-Dauphine, Aurélie Leclercq-Vandelannoitte est professeur associée à rlESEG SChooI of Management (LEVI, IJMR CNRS 8179). ses recherches sont liées à la question du changement organisationnel et technologique. Sa thèse a reçu trois prix nationaux et ses travaux ont fait l’objet de publications nationales et internationales (EJIS, Organization Studies, DataBase, SIM). objectif est de comprendre les mécanismes qui poussent à la décision d’implanter une solution de Cloud Computing dans les organisations.

Cette recherche adopte une méthodologie qualitative, fondée sur l’analyse d’entretiens ouverts et semi- directifs auprès de personnes directement concernées par e processus de décision d’envol vers le Cloud Computing_ Différents corps de métiers et secteurs sont représentés, avec entre autres des personnes issues du consulting, de l’édition de logiciel ainsi que de la direction des systèmes d’information de plusieurs entreprises de tailles différentes. Les contributions de cet article sont les suivantes : 1/ la catégorie centrale qui a émergé est le concept de maturations multiples.

Celle-ci est vue comme un processus aboutissant à une décision d’implantation ou de non-implantation. 2/ Cette maturation a émergé à quatre iveaux, comme en témoigne l’identification de quatre types de maturité : la maturité organisationnelle, la maturité sécuritaire, la maturité de la solution Cloud, et la maturité de l’environnement juridique. 3/ Nos données suggèrent également que la décision d’implantation du Cloud Computing au niveau organisationnel est liée à une pression plus large de l’environnement compétitif, et une pression des utilisateurs à travers le phénomène de consumérisation.

Ces contributions enrichissent la llttérature déj? existante en insistant sur le caractère multiple des maturations ? rendre en compte, ainsi que leurs configurations. Mots clefs : Cloud Computing, Décision d’implantation, Maturations multiples, Configurations, Consumérisation. Abstract : Cloud Computing is more and more described as the new paradigm of modern computing. ln this article, our goal is to understand the mechanisms that lead to the decision to implement 61 article, our goal is to understand the mechanisms that lead to the decision to implement a cloud computing solution in organizations.

This research adopts a qualitative methodology, based on the analysis of open and semi-structured interviews With people direct[y involved in the decision process of Cloud Computing implementation. Various trades and sectors are represented, amongst others we interviewed people working in consulting firms, software publishing companies and inside IT management departments of several businesses (which vary in size). This paper has several main contributions.

First, the care category that emerged is the concept of multiple maturations. This multiple-maturation concept is seen as a process leading (or not) to an implementation decision. Second, this maturatlon rocess emerged at four different levels, as is evidenced by the identification of four different types of maturity: the organizational maturity, the security maturity, the maturity of the cloud solution, and the maturity of the legal environment.

Third, our data also suggests that the decision to implement Cloud Computing at the organizational level is related to a broader pressure of the competitive environment and a pressure from users through the consumerization phenomenon. These contributions enrich the existlng literature by emphasizing the fact that maturations are multiple and have their own onfigurations. Keywords: Cloud Computing, Implementation Decision, Multiple Maturations, Configurations, Consumerization. Introduction Souvent décrit dans les journaux professionnels comme un nouveau paradigme informatique en entreprise, le Cloud Computing – littéralement l’informatique dans le nuage – (Boucher, 2009 ; Etchevers, 2011, Sultan, 2011) prend appui sur des technologies existante 3 1 nuage – (Boucher, 2009 ; Etchevers, 2011, Sultan, 2011) prend appui sur des technologies existantes (virtualisation, grid- computing, internet), pour permettre remploi de ressources nformatiques externallsées (Lacity et Willcocks, 2013) et l’utilisation de capacité de stockage élevées, payées à l’utilisation.

Evoluant dans un marché en forte croissance (environ 40,7 milliards de $ en 2011, jusqu’à 150 milliards de $ en 2014, Marston et al. , 2011)1 et en très forte mutation (Etro, 2011 Shivakumar, 201 0), cette évolution intervient en période de crise financiere impliquant une gestion des coûts toujours plus serrée, une augmentation de l’incertitude quant à l’environnement (marché, concurrence) et donc un besoin impérieux de flexibilité. Si le Cloud Computing est un marché jeune, il marque un vérltable tournant dans l’évolution du secteur IT (Information Technology).

Il soulève toutefois de nombreuses problématiques, à la fois organisationnelles et sécuritaires (Willcocks et al. , 2014 ; Kandukuri et Rakshit, 2009 ; Anthes, 2010 ; Ginovsky, 2011), ou liées à l’intégration (Channel Insider, 2011 ; Seltsikas et Currie, 2002). Adapter les systèmes d’information (SI) actuels au Cloud nécessite efforts et investissements pour l’ensemble de l’entreprise du fait d’une certaine sédimentation des anciens systèmes (McAfee, 2011).

Ainsi, le Cloud Computing implique des transformations profondes pour les organisations concernées, et soulève encore de nombreux enjeux techniques, organisationnels et sécuritaires (Willcocks et al. , 2014), inhérents aux données, au réseau, à la disponibilité, et à la qualité de service (Géczy et al. 2012). Le Cloud Computing présente donc des risques et enjeux spécifiques, tant organisationnels que managériaux (Willcocks et al. , 2014), qui nécessitent de plu 1 spécifiques, tant organisationnels que managériaux (Willcocks et al. , 2014), qui nécessitent de plus amples recherches sur son rocessus d’adoption.

Dans cet article, la question posée est la suivante : « quelle est la préoccupation principale des décideurs lors de l’étude de la décision du passage au cloud computing ? h, et plus précisément, issue de cette première question et des premiers éléments de réponses, « quels sont les éléments constitutifs de la décision d’implantation du Cloud Computing en entreprise ? Face au manque de recherche en SI sur ce sujet (Venters et Whitley, 2012) cet article a pour objectif de proposer une théorie permettant de mieux appréhender la décision d’implantation du

Cloud Computing en entreprlse. Les entreprises sont concernées à plusieurs niveaux : organisationnel, technologique, du marché et humain. Le but est de comprendre le ‘processus de maturation’ permettant l’envol des organisations vers le Cloud Computing. Pour ce faire, cet article adopte une méthodologie de recherche qualitative (Glaser and Strauss, 1967 ; Eisenhardt, 1989; Miles et Huberman, 1994 ; Romelaer, 2005). une série d’entretiens a été réalisée auprès de 29 professionnels dont les métiers sont liés au monde informatique.

Ces interlocuteurs donnent une vision large u ‘processus de maturation’ aboutissant – ou non – à la déclsion d’implantation du Cloud Computing. Nous proposons ici des éléments théoriques permettant de comprendre la décision d’implantation du Cloud en entreprise. Pour ce faire, nous proposons la catégorie centrale de « maturations multiples se déclinant en quatre sous-concepts (la maturité organisationnelle, la maturité sécuritaire, la maturité de la solution Cloud, et la maturité de l’environnement juridique). De plus, nous expliquons comment deu PAGF s 1 solution Cloud, et la maturité de l’environnement juridique).

De lus, nous expliquons comment deux pressions principales (liées à l’environnement et aux utilisateurs) poussent l’entreprise au Cloud Computing, en validant notamment l’importance de la consumérisation (Ménard, 2010)2 liant l’utilisateur au fournisseur de solution Cloud, et subséquemment influençant le type de Cloud adopté par l’entreprise. Nous présentons tout d’abord la revue de littérature, centrée sur le concept de maturations multiples, notre méthodologie. Nous explicitons ensuite les différentes composantes de notre modèle théorique et discutons des implications managériales et e recherche.

Nous abordons enfin les limites de ce papier et les opportunités de recherche qui en découlent. 2 Revue de littérature Cette partie a pour objet d’expliciter la notion de « Cloud Computing » (2. 1). Nous mobilisons ensuite la littérature relative ? la décision d’implantation (22), afin de comprendre comment s’y inscrit le concept de maturations multiples (2. 3). 2. 1 Définition du Cloud Computing A la fois créateur d’opportunités et de problématiques (Dlodlo, 201 1), le Cloud Computing et sa définition sont fortement débattus dans la littérature (Leimeister et al. , 2010).

On note dans la ittérature scientifique la nature décentralisée du Cloud (lyer et Henderson, 2010 ; Fouquet et Carle, 2009), qui doit être replacée dans un contexte d’externalisation (Lacity et Willcocks, 2013 ; Rivard et Aubert, 2007 ; Fimbel, 2003), proposant des ressources informatiques donnant une illusion d’infinité (Armbrust et al. , 2009 ; Mikkilineni et Sarathy, 2009). Les serveurs et disques durs ne sont pas localisés là où les utilisateurs vont les utiliser, et sont facturés (par un fournisseur ou la Direction des SI – DSI) à l’utilisation ( 6 1 DSI) à Futilisation (Vaquero et al. 008). Enfin le Cloud Computing se caractérise par l’importante évolutivité des solutions proposées (Katzan, 2010). Au regard de ces caractéristiques, nous retenons la définition de l’Université de Berkeley, citée dans Smith (1999) que nous complétons par celle de Mell and Grance (2011) : « Cillusion d’une ressource informatique infinie, disponible à la demande, l’élimination de l’implication dès le départ de l’utilisateur, et la possibilité de payer à l’utilisation pour ces ressources sur une base court terme. ? Cette définition est complétée par celle du NIST (Mell and Grance, 201 1), où le Cloud Computing est décrit comme « un modèle permettant l’accès omnprésent, pratique et sur demande à un réseau partagé de ressources informatiques configurables (e. g_ des réseaux, des serveurs, du stockage, des applications et des services) qui peuvent être rapidement provisionnées et mises à disposition avec une gestion minimale de l’effort et des interactions avec le fournisseur de service ».

Différents types de Cloud co-existent, allant du Cloud privé au Cloud public, en passant par le Cloud hybride (Harris, 2011) : Cloud privé: Dans cette solution, le data-center reste au sein e l’entreprise. Les personnes travaillant dans des divlslons éloignées du siège peuvent y accéder via leur navigateur internet (ou via VPN), et profiter des applications mises à dispositions par l’entreprise, qui s’exécutent sur les serveurs de celle-ci.

Cette solution permet de ne pas transférer de données sensibles sur un serveur externe, et autorise le maintien d’avantages comparatifs liés à des applications développées en interne et dont il n’existe pas d’équivalent. Cloud public: Certaines e 7 1 applications développées en interne et dont il n’existe pas d’équivalent. Cloud public: Certaines entreprises n’ont pas intérêt à (ou ne peuvent pas financièrement) mettre en place une structure informatique suffisante à leur utilisation, les coûts d’acquisition étant parfois trop importants. Ces firmes peuvent alors se tourner vers un Cloud public.

Le fournisseur de services dans le Cloud met alors à disposition la ressource informatique dont les organisations ont besoin, et ces dernières payent en fonction de leur consommation, sans que les infrastructures ne leurs appartiennent. Notons que trois types de Cloud publics cohabitent (NIST ; 2011) : 1) Le Saas (Software as a Service) est la capacité pour un client d’utiliser l’application (le software) de son fournisseur alors qu’elle est exécutée sur l’infrastructure du fournisseur; (2) Le PaaS (Platform as a Service) est la capacité à maintenir la plateforme (runtimes, bases de données, etc. d’un client sur l’infrastructure du fournisseur, facturée à la consommation; (3) Le laaS (Infrastructure as a Service) est la mise à disposition de l’infrastructure d’un fournisseur à son client afin que celui- ci profite de ressources informatiques basiques telles que le stockage, la puissance de traitement, etc. fin de faire fonctionner des programmes informatiques quels qu’ils soient (système d’exploitation, application, etc. . Cloud hybride: Il s’agit ici d’un mélange entre Cloud privé et Cloud public. L’entreprise possède alors un data-center mais utilise aussi l’élasticité et l’évolutivité d’un Cloud public, lors par exemple d’une augmentation inopinée du trafic sur son site internet. Cloud communautaire: ce modèle (Mell et Grance, 2011, p. 3) mentionne un type de Cloud dont l’usage est exclusif à une communauté d’utili Grance, 2011, p. ) mentionne un type de Cloud dont l’usage st exclusif à une communauté d’utilisateurs partageant les mêmes préoccupations. Ce type de Cloud « peut être possédé, géré et opéré par une ou plusieurs des organisations de cette communauté, une tierce partie, ou une combinaison de ces dernières 2. 2 Décision d’implantation des systèmes au niveau organisationnel Cet article s’interroge sur la décision d’implantation du Cloud- Computing en entreprise.

Nous considérons ici le niveau organisationnel, car la décision de passer au Cloud Computing est apparue dans nos données – via le concept de consumérisation comme une déclsion fortement influencée par les utilisateurs (déjà friands de solutions de type Cloud Computing comme Google drive ou Dropbox), donc par Forganisation Si l’adoption des systèmes est un sujet déjà largement traité dans la littérature (Davis, 1989 ; Goethals, Snoeck et Lemahieu, 201 1), cet article n’a pas pour but d’en approfondir la compréhension.

La recherche traditionnelle en SI s’est effectivement focalisée sur la question de l’adoption par les utilisateurs de systèmes préalablement choisis et implantés par les organisations. Ainsi, les modeles classiques (TAM – Technology Acceptance Model, Davis, 1989 – et UTAIJT -Unified Theory of Acceptante and Use of Technology, Venkatesh et al. 2003) ont mis en évidence des facteurs spécifiques de l’acceptation des SI, tels que les bénéfices perçus du système (la facilité d’utilisation et l’utilité perçue; Davis, 1989; Markus and Keil, 1994), ainsi que les menaces et risques perçus du système (complexité, niveau d’effort requis ; Davis, 1989).

Bien que ces modèles présentent de nombreux apports sur la question de l’acceptation des technologies, ils se focalisent essentiellement sur le niveau indiv PAGF 61 question de l’acceptation des technologies, ils se focalisent ssentiellement sur le niveau individuel de l’adoption, et, ce faisant, ne permettent pas d’appréhender la question du processus de décislon permettant le passage au Cloud Computing dans l’organisation, telle que posée dans cet article (Nkhoma et Dang, 2013).

En effet, cette question ne se pose pas dans les mêmes termes dans le cadre du Cloud Computing, puisque ce sont souvent les utilisateurs, via le phénomène de consumérisation, qui sont les initiateurs du déploiement de telles solutions dans les organisations. En réalité, peu de recherches se sont interrogées, jusqu’à présent, ur la décision organisationnelle d’adoption du Cloud Computing (Venters et Whitley, 2012). Certaines recherches s’interrogent sur les bénéfices attendus de l’adoption du Cloud Computing (Géczy et al. 012), ainsi que sur ses impacts et les attentes qu’il comble (Venters et Whitley, 2012) ; de tels impacts sont souvent comparés aux risques potentiels du Cloud Computing (Géczy et al. 2012), tels que les risques liés aux vendeurs de solution, les risques de sécurité, le risque d’absence de gains, ou encore le risque de perte d’efficience (Iyer et al. , 2013). Si ces recherches ermettent d’établir des recommandations très utiles afin de gérer au mieux le passage au Cloud Computing (Géczy et al. 012), elles ne s’interrogent pas en tant que tels sur les motifs et le processus de décision favorisant le passage au Cloud Computing. Néanmoins certaines études passées sur le concept d’adoption organisationnelle présentent un intérêt certain au regard de notre objectif de recherche, en proposant une base claire au processus de maturations multiples qui a émergé des données. Selon Grover et Goslar (1 993), les composantes du contexte d’adoption org