PRICOT Manon M1 RECH 2013 DUM

essay A

Présence d’un « travail épique » au sein d’Incendies de Wajdi Mouawad État de recherches en Master 1 Littératures option PLC IO crédits Sous la direction de Florence Goyet Université Stendhal UFR Lettres et Arts Département Lettres et Art du Spectacle Mémoire soutenu par Manon Pricot session 2012 – 2013 Résumé de la pièce OF p g une partie de l’histoire se déroule au Québec, fautre au Liban. A la mort de leur mère Nawal, les jumeaux Simon et Jeanne, se voient remettre chacun une lettre : l’une est destinée à leur père qu’ils pensaient mort, l’autre à leur frère dont ils ignoraient ‘existence.

Nawal leur confie la mission de les retrouver afin de leur remettre ces lettres. Malgré les incitations du notaire Hermile Lebel, exécuteur testamentaire et ami de Nawal, les deux jeunes gens refusent tout d’abord de réaliser les dernières volontés de cette mère si peu aimante et qui s’était emmurée dans un silence inexpliqué dans Ayant assassiné le chef des milices chrétiennes, Nawal est enfermée à la célèbre prison de Kfar Rayat et devient alors la légendaire « femme qui chante celle qui chante tandis que les autres se font torturer.

Allant jusqu’au Liban pour mener leur nquête, Jeanne, rejointe ensuite par Simon, découvre qu’à Kfar Rayat Nawal a été victime de nombreuses tortures et de viols de la part d’un certain Abou Tarek, et qu’elle et son frère sont en réalité issus de l’un de ces viols. Enfants d’un bourreau, la vérité se fait plus terrible encore lorsque les deux jeunes gens découvrent que leur frère, fruit de l’union de Nawal et Wahab, est un franc-tireur impitoyable devenu ensuite bourreau à la prison de Kfar Rayat, prenant alors le nom d’Abou Tarek…

Jeanne et Simon s’acquittent alors de leur tâche, remettent les lettres destinées au père et au rère, qui ne sont qu’une et même personne, avant de recevoir une dernière lettre de la part de leur mère, celle qui permet la consolation et la réconciliation. 2 Table des matières Résumé de la Introduction 5 Un premier mouvement : 2 04 personnage d’Hermile Lebel 1. Un personnage en apparence très secondaire 15 17 14 2. Hermile Lebel le notaire, Intermédiaire entre les vivants et les morts 3.

Un Intermédiaire, interprète, que l’on peut aussi nommer « passeur » 21 C. Conclusion . 24 Le retour de la confusion 25 A. e personnage d’HermiIe Lebel : entre simplification et refus de la simplification 25 . Hermile Lebel l’ami, intermédiaire entre Nawal et ses enfants 26 2. Le refus de la simplification : un personnage de la polyphonie…. B. Des contradictions au sein de l’enquête… …… C. La coexistence de discours de nature différente. Articulation des parallèles A.

Un moment clef de l’œ 3 104 32 35 40 re 25, « Amitiés Sources secondaires . 72 Ouvrages Articles 74 Mémoires 76 Textes et Entretiens de Mouawad Supports vidéo diverses options . 46 3. Ce qui émerge de cette confrontation . 55 3. Un parallèle-différence significatif : Nawal et Nihad 58 C. Parallèle et gémellité 61 D. Les lettres de Nawal, emblématiques d’une articulation des Bibliographie. 69 3 Sources primaires 64 4 04 78 Dictionnaires — . « Ce ne sont pas des pièces qui traitent de la guerre, ce sont des pleces qul parlent de la tentative de rester humain dans un contexte inhumain. »1 déclare Wajdi Mouawad à propos de son œuvre. Si le dramaturge libano- québécois précise la nature de sa démarche au sein de ses pièces, c’est que le thème de la guerre, omniprésent, tend à apparaitre comme le point central et le fil conducteur de son œuvre, tant il est évoqué avec force.

Au sein du quatuor Le Sang des promesses, ce hème se manifeste sous des formes diverses, la guerre du Liban, pays d’origine de Mouawad, bien qu’il ne soit jamais explicitement nommé, constitue l’arrière-plan des pièces Littoral et Incendies, le troisième volet, Forêts, évoque la Seconde Guerre Mondiale, tandis que Ciels, le dernier volet, évoque la menace terroriste qui préoccupe le monde d’aujourd’hui.

De ce point de vue, les pièces de Mouawad sont éminemment contemporaines, en prise avec l’histoire et l’actualité. Toutefois, les propos de Waidi S 04 profit de l’histoire. L’historienne Mélanie Traversier écrit à propos de Mouawad qu’il est Un passeur des émotions et des questions que soulèvent les enjeux contemporains, aiguisés par les conflits survenus depuis la fin du XIXe siècle. Son théâtre intensément tragique, ne peut être qualifié d’historique : il est résolument du côté de la fiction et du sensible.

Mouawad ne raconte pas I’Histoire mais une histoire, toutefois l’une et l’autre sont liées en ce que le cadre historique sert la fiction et la fiction sert le monde par la transmission d’ « émotions », de « questions » suscitées par une réalité. Cet ensemble 1 DUBOIS Laure « Conversations sur le théâtre avec émotions. Interview de Wajdi Mouawad. » pour Evène. fr, 19 octobre 2006. Consulté sur internet : 2 TRAVERSIER Mélanie « Comptes rendus. Fictions », Annales. Histoire, sciences sociales 2/2010 (65e année), p. 550-553 est à prendre en compte pour apprécier les pièces de Mouawad à leur juste valeur : la critique lui a par exemple plusieurs fois reproché son style cru, la récurrence de thèmes tels que l’inceste, le viol, le meurtre, recette efficace pour bouleverser le spectateur. Certes les pièces de Mouawad sont renantes, bouleversantes, ais le dialogue l’amener à réagir – comme le fait un Edward Bond3.

La récurrence de certains thèmes, de certains épisodes au sein d’un même cycle, ou bien au sein d’une même pièce, Incendies par exemple, traduit davantage la volonté de construire une vision de la crise et de l’horreur qui permettent de la dépasser. Mouawad ne se contente pas de nous mettre face à un thème tel que la violence entre les membres d’une même famille, il confronte ses personnages ? plusieurs épisodes de crise, des impasses qui les amènent à faire des choix, à prendre certaines positions pour trouver une issue.

Les pièces de Mouawad sont aussi une mise à l’épreuve devant le spectateur de toutes ces positions, qui sont « éprouvées », c’est-àdire essayées à plusieurs reprises dans des contextes différents afin d’en évaluer les limites. Ces options sont ainsi mises en parallèle tout au long de la fiction par la récurrence de ces états de crise, de cette manière Mouawad donne au spectateur une « prise » sur elles, un moyen de jugement, par leur récurrence même.

Ainsi la fiction chez Mouawad transmet des émotions mais est également un moyen de formuler des questions, de produire une réflexion. C’est en cela notamment que le dialogue entre l’Histoire et l’histoire se révèle intéressant : L’Histoire fait émerger une histoire pour ensuite s’effacer derrière elle. A partir de là, la fiction, à l’aide des moyens qui lui sont propres, produit une réflexion portant sur le monde.

Pour revenir aux propos de Mouawad évoqués au début de cette introduction, dire que les pièces du dramaturge 04 Sur ce point, voir le concept d’ « aggro-effect » élaboré par Edward Bond : « L’aggro, en plaçant le public devant des actes horribles, odieux, ou tout simplement extrêmes, veut être une véritable gression qui – loin de ne chercher qu’à procurer une sensation forte ou un choc gratuit – vise ? impliquer pleinement le spectateur en faisant appel à l’émotion, mais afin de susciter en lui une réflexion, voire un raisonnement, quant à la signification de ce qui a lieu sur scène, une analyse, voire une mise en question, de ses causes et de ses mécanismes h.

BAS Georges, « Glossaire b, in Edward Bond, La Trame cachée. Notes sur le théâtre et l’Etat. Paris : L’Arche, 2003, p. 295 6 n’ont pas pour but de problématiser un conflit bien particulier, qu’elles parlent « de la entative de rester humain dans un contexte inhumain », c’est dire qu’elles s’efforcent de penser l’humanité lorsque celle-ci est confronté à l’inhumain. Elles posent « la question du « vivre ensemble » »4, lorsque la relation à Fautre se fait essentiellement sur le mode de la destruction. Les termes que nous venons d’employer quant à la « question du « vivre ensemble » » appartiennent à Florence Goyet qui les utilise pour étudier la fonction du genre de l’épopée.

Elle développe dans son ouvrage Penser concepts : fonction de l’épopée guerrière une théorie qu’elle a élaborée après avoir ?tudié de manière inductive des textes canoni ues de Ian ues diverses, tels que l’Iliade, La Chanson de 8 04 consiste à considérer l’épopée comme une « gigantesque machine ? penser « 5 : « La guerre qu’elle décrit est une métaphore, qui mime une crise contemporaine du public pour lui donner les moyens de l’appréhender intellectuellement. En l’absence des outils intellectuels que nous connaissons (historiques, juridiques, philosophiques), Fépopée permet une compréhension obscure mais profonde, efficace. » De la même manière que les pièces de Mouawad, l’objet principal de l’épopée n’est pas a guerre, la guerre est une métaphore servant d’appui à un travail réflexif. L’épopée rejette le langage conceptuel. C’est la fiction, avec son langage propre, qui permet de formuler avec justesse un questionnement portant sur le monde.

Ces rapprochements entre la conception qu’a Florence Goyet de l’épopée et les pièces de Mouawad n’ont pas pour but de prouver que les pièces du dramaturge sont en réalités des formes d’épopées ou bien qu’elles attestent d’une certaine hybridité des genres ; mais de 4 GOYET Florence. Article « Sur les conditions d’une épopée refondatrice A paraître en version llemande sous le titre « Uber die Bedingungen der Mbglichkeit eines, Neugründungsepo# in Krauss, Charlotte et Urs Urban (eds.. ) Université de Strasbourg : L’épopée retrouvée : Motifs, formes et fonctions de la narration épique du début du XXe siècle à l’époque contemporaine / Das wieder efundene Epos. halte, Formen und Fun n Erzàhlens vom Beginn 9 04 : fonction de l’épopée guerrière. Paris : Honoré Champion, 2006, p. 7 6 GOYET Florence. Penser sans concepts : fonction de l’épopée guerrière, op cit. , p. 7 7 permettre d’envisager ces pièces comme un outil intellectuel pour penser la crise, – aux ntipodes de l’effet qu’un Edward Bond, par exemple, revendique pour ses propres pièces. Il s’avère en effet qu’il existe certaines similitudes entre le mouvement de l’épopée qu’établit Florence Goyet, les processus faisant qu’une réflexion s’élabore tout au long du texte, et certaines pièces de Mouawad telles que celles qui constituent le cycle Le Sang des promesses.

Notre étude, qui se présente ici sous la forme d’un état de recherche, a pour objectif de voir si l’une des plus célèbres pièces de ce cycle, Incendies, écrite en 2003, permet d’élaborer une pensée de la crise à travers un « travail ?pique »7. Ce que l’on cherchera à dégager ici, c’est le triple mouvement que Florence Goyet donne pour essentiel à l’épopée – les trois temps qu’elle reconnaît dans les épopées « refondatrices »: le premier consiste à « plaquer un ordre extérieur sur le chaos réel « 8, c’est une simplification. Le second est au contraire le « retour de la confusion »9 : l’ordre illusoire s’effondre, les incohérences sont exhibées. Vient alors un troisième mouvement, essentiel, le « travail épique », il s’agit de l’articulation des diverses parallèles, qu’il s’ llèle-homologie » ou de 00F 104