Lumieres
Conférence de Mariette Cuénin-Lieber Les Philosophes et l’esprit des Lumières — IIJFM de Franche-Comté 23 avril 2010 Introduction 1) Un esprit des Lumières et des philosophes « Chaque siècle a son esprit qui le caractérise. L’esprit du nôtre semble être celui de la liberté. » (Lettre de Diderot à la princess complètes, Société e c a or87 française pour le Clu Sni* to View Les philosophes inca chacun à sa manière 1, Diderot, Œuvres X, 1971, p. 1016). rôle déterminant dans le choix des combats que le philosophe fait siens et des genres littéraires, des formes d’écrits qu’il juge ropres à exprimer ses convictions.
L’étude de l’esprit du siècle sera donc suivie d’une approche de quelques philosophes qui l’illustrent. SY ajoutera une interrogation sur les femmes et les Lumières. 2) Llmltes géographiques et temporelles de l’étude Limites géographiques : le mouvement des Lumières est européen, mais rétude portera essentiellement sur la France. Limites temporelles : 1715 (mort de Louis XIV ; ouverture d’une nouvelle ère politique) – 1789 (début de la Révolution : l’action prend le pas sur la réflexion). l) L’esprit des Lumières est dirigée par J.
E. Biester, un ami d’Emmanuel Kant (1724-1804). Parmi ces réponses figurent celles de Moise Mendelssohn et de Kant. L’article de Kant est un texte court, paru dans le numéro de septembre 1784. Ce n’est pas un catalogue d’idées, mais l’analyse d’un comportement à adopter : s’affranchir d’une tutelle, sortir d’un état de dépendance intellectuelle en se servant de son entendement. Kant voit les obstacles à cet affranchissement : la paresse, la volonté de pouvoir de ceux qui veulent penser pour les autres.
Beantwortung der Frage : Was ist Aufklàrung Auklàrung ist der Ausgang des Menschen aus seiner selbstverschuldeten Unmündigkeit. Unmündigkeit ist das Unvermôgen Sich seines Verstandes Ohne Leitung eines anderen zu bedienen. Selbstverschuldet ist diese LJnmündigkeit, wenn die Ursache derselben nicht im Mangel des Verstandes, sondern der Entschliessung und des Mutes liegt, Sich seiner ohne Leitung eines anderen zu bedienen. Sapere aude ! Habe Mut, dich deines eigenen Verstandes zu bedienen ist also der Wahlspruch der Aufklarung. Les Lumières, c’est la sortie de l’homme hors de ‘état de tutelle dont il est lui-même responsable. L’état de tutelle est l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre. On est soimême responsable de cet ?tat de tutelle quand la cause tient non pas à une insuffisance de l’entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s’en servir sans la conduite d’un autre. Sapere aude! Ale le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. 2 Selon Kant, le but n’est pas encore atteint : « Wenn denn PAGF OF entendement ! Voilà la devise des Lumières. ) Selon Kant, le but n’est pas encore atteint : « Wenn denn nun gefragt wird : leben Wir jetzt in einem aufgeklérten Zeitalter ? so ist die Antwort : Nein, aber Wohl in einem Zeitalter der Aufklàrung. » (Et si on emande : vivons-nous maintenant à une époque éclairée ? la réponse est : non, mais bien à une époque de Lumières. ) 2) Lumières et raison Dictionnaire de Furetière (1690) Lumières : « se dit figurément en choses spirituelles & morales.
Les lumieres de la Foy, de l’Evangile ont dissipé les tenebres, l’aveuglement du genre humain. Les Payens n’ont connu Dieu que par la lumière naturelle… » Raison : « La droite raison, c’est la lumière naturelle. » Le premier combat des Lumières, qui fonde tous les autres, consiste à repousser les lumières de la foi, de la Révélation au profit de la lumière naturelle. Ce qui peut dissiper les ténèbres, c’est la raison qui s’appuie sur l’observation et Vexpérience. Cette conviction repose sur la confiance en la raison, comme faculté de distinguer le vrai et le faux. ) Des précurseurs Les philosophes reconnaissent des précurseurs, qui leur ont ouvert la voie René Descartes (1596-1650) Encyclopédie, « Discours préliminaire », rédigé par d’Alembert (tome l, 1751) : « Descartes a osé du moins montrer aux bons esprits à secouer le joug de la scolastique, de l’opinion, de l’autorité, en un mot des préjugés et de la barbarie ; et par cette révolte dont nous ecueillons aujourd’hui les fruits il a rendu à la philosophie un sen,’ice plu ut-être que tous ceux PAGF essentiel peut-être que tous ceux qu’elle doit à ses illustres successeurs. ? En 1637 paraît le Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences. Cest une autobiographie intellectuelle : Descartes explique sa méthode et surtout comment il l’a forgée. Elle s’appuie sur l’exercice de la raison : « notre lumière naturelle » (Partie l). Descartes revient ? cette lumière dans ses Principes de la philosophie : « La faculté de connaître que Dieu nous a donnée, que ous appelons lumière naturelle… » (Principes, l, 30 ; ICA4 : parution des Principes en latin ; traduction en français de l’abbé Picot publiée en 1647).
Descartes exclut du champ de l’exercice de la lumière naturelle les « vérités révélées » et les questions politiques. Les « vérités révélées sont au-dessus de notre intelligence » ; pour les examiner, « il était besoin d’avoir quelque extraordinaire assistance du ciel et d’être plus qu’homme » (Discours, Partie l). Quant aux questions politiques, Descartes pense qu’il est difficile de réformer un Etat, une institution (risque de tout ébranler, Dlscours, partie Il). Sont habilités à mener des réformes « ceux que Dieu a établis pour souverains sur ses peuples » (Discours, Partie VI).
D’Alembert a vu que la méthode de Descartes pouvait s’appliquer à la politique : il « a jeté les fondements d’un gouvernement plus juste et plus heureux qu’il n’a pu voir établi. » Discours préliminaire Pierre Bayle (1647-1706) Protestant, fils de pasteur, il enseigne la philosophie à l’Académie protestante de Sedan. Après la fermeture de l’Académie en 1 681, Bayle part e philosophie à l’Académie protestante de Sedan. Après la fermeture de l’Académie en 1 681, Bayle part en Hollande. Il enseigne ? Rotterdam, où il compose ses écrits, qu’il publie sans les signer.
Cest l’homme du doute : son auteur préféré est Montaigne. Il doute des vérités généralement admises de son temps : existence de Dieu, immortalité de l’âme, action de la Providence. Il ne croit pas à la nécessité d’une religion pour fonder une morale (cette nécessité est l’argument employé par l’Eglise contre les libertins au XVIIe siècle) : il pense que des athées peuvent être vertueux. Il demande la tolérance en matière de religion Son ouvrage majeur est le Dictionnaire historique et critique (en uatre volumes, 1 697 ; une édition récente : Slatkine Reprints, Genève, 1969) Il connaît un grand succès.
De 1697 à 1740, paraissent huit éditions en français. Il est traduit en anglais et en allemand. II a eu une grande influence sur les philosophes europeens. JOhn Locke (1632-1704) Il est né dans une famille protestante anglaise. Il a fait des études de médecine. En 1690 paraît son Essai sur l’entendement humain (An Essay concerning Human Understanding). Locke s’oppose ici à la théorie des idées innees de Descartes : toutes les idees naissent des sens. Cette conception joue un rôle capital dans la ensée des Lumières. Locke a aussi écrit des Lettres sur la tolérance.
La première, rédigée en latin, parait anonymement en Hollande, en 1689. Elle est traduite en anglais la même année (A Letter concerning Toleration), puis en français. Locke y invite à ne pas confondre l’Église et l’Etat : il importe de distin er PAGF s OF en français. Locke y invite à ne pas confondre l’Eglise et l’Etat il importe de distinguer «ce qui regarde le gouvernement civil de ce qui appartient à la religion, et de marquer les justes bornes qul séparent les droits de [‘un et ceux de [‘autre. » Les Eglises ne oivent pas intervenir dans les affaires civiles et l’Etat n’a pas à se mêler du salut des âmes.
Il doit accorder les mêmes droits à tous les citoyens « pourvu qu’ils soient honnêtes, paisibles et industrieux Sont exclus de la tolérance les athées : « ceux qui nient l’existence d’un Dieu ne doivent pas être tolérés, parce que les promesses, les contrats, les serments et la bonne foi, qul sont les principaux liens de la société civlle, ne sauraient engager un athée à tenir sa parole… » (Lettre sur la tolérance, éd. Patrick Thierry, paris, 2005, traduction de Jean Le Clerc, faite ‘après la version anglaise, dans Œuvres diverses de M.
Jean Locke, Amsterdam, 1710) 4) L’objet premier du libre examen pour les philosophes en France : la religion catholique et l’Eglise « La première attaque contre la superstition a été vlolente, sans mesure. Une fois que les hommes ont osé dune manière quelconque donner l’assaut à la barrière de la religion, cette barrière, la plus formidable qui existe comme la plus respectée, il est impossible de s’arrêter. Dès qu’ils ont tourné des regards menaçants contre la majesté du ciel, ils ne manqueront pas, le moment d’après, de les diriger contre la souveraineté de a terre.
Le câble qui tient et comprime Phumanité est formé de deux cordes ; l’une ne peut céder sans que l’autre vienne à se rompre. » (Diderot, lett OF formé de deux cordes ; l’une ne peut céder sans que l’autre vienne à se rompre. » (Diderot, lettre du 3 avril 1771 à la princesse Dashkof, éd. cit. p. 1016-1017) La critique de l’Egllse n’est pas nouvelle : satire des mœurs des ecclésiastiques dès le Moyen Age, critique au XVIe siècle de l’organisation hiérarchique de l’Eglise et de la tradition qu’elle a ajoutée aux textes sacrés.
Au XVIIIe siècle, les textes sacrés eux-mêmes sont remis en uestion et l’autorité que l’Eglise exerce sur la société est contestée. a) La remise en question des textes sacrés C’est un héritage de l’exégèse biblique du XVIIe siècle, celle, en France, de Richard Simon (1638-1712). Richard Simon est un prêtre oratorien. Il connaît les travaux de Spinoza (1632-1677), qui entendait appliquer à la Bible la méthode employée dans l’étude de la nature. Simon publie en 1678 une Histoire critique du Vieux Testament (ouvrage signé). Outre le latin et le grec, il lit l’hébreu, l’araméen et peut-être 4 l’arabe.
Sa méthode de travall repose sur l’étude des sources, la omparaison des différentes versions (recours à la philologie), l’examen de la cohérence interne des textes, la rencontre avec des savants juifs pour étudier la Bible : « Premièrement il est impossible d’entendre parfaitement les livres sacrés, à moins qu’on ne sache auparavant les différents états où le texte de ces livres s’est trouvé selon les différents temps et les différents lieux, et si l’on n’est instruit exactement de tous les changements qui lui sont survenus… ? Le 21 mai 1678, Simon est exclu de l’oratoire. Son ouvrage est interdit par arrêt du Conseil du Roi (sous ai 1 678, Simon est exclu de l’Oratoire. Son ouvrage est interdit par arrêt du Conseil du Roi (sous l’influence de Bossuet), et presque tous les exemplaires sont détruits. Le 9 février 1 683, il est condamné par la Congrégation de l’Index. En 1685, Simon en donne une nouvelle édition à Amsterdam. En 1689, il publie à Rotterdam son Histoire critique du texte du Nouveau Testament.
Simon a été en conflit avec Bossuet et des pasteurs protestants. Il affirmait vouloir servir l’Église, mais ses travaux ont fourni des arguments savants aux libertins, aux esprits forts (noms donnés aux libres-penseurs au XVIIe siècle). pour les esprits éclalrés, le cathollcisme devient au XVIIIe siècle, comme les autres religions, une superstition. b) La critique de l’autorité que l’Eglise exerce dans la société Elle justifie la monarchie de droit divin, donc de la forme de gouvernement. Elle est intolérante à l’égard des autres religions.
Elle entrave le bonheur des hommes par une morale du salut fondée sur l’idée d’une nature humaine pécheresse. Elle contrôle le savoir, qu’elle prétend détenir à elle seule. Le savoir qu’elle reconnait est celui des Anciens qu’elle a agréés (n’en font pas partie Démocrite et Epicure). Un exemple de ce contrôle du savoir : géocentrisme et héliocentrisme. L’Église s’en tient au géocentrisme du savant grec Ptolémée, auteur d’une Géographie (Ile siècle après J-C). Le pape Paul V (pape de 1605 ? 1 621) condamne la théorie de Nicolas Copernic (1473-1543) comme contraire aux Ecritures.
En 1 633, sous l_Jrbain VIII, Galilée comparait devant le tribunal de l’lnqulsitlon : il doit renier ses découvertes. L’aff BOF VIII, Galilée comparaît devant le tribunal de l’lnquisition : il doit renier ses découvertes. L’affaire de Galilée a ébranlé les milieux savants européens. Descartes ‘évoque à mots couverts dans le Discours (début de la Partie V). Il renonce à publier son Traité du monde, qui s’appuyait sur les travaux de Galilée (il en donne des extraits à la suite du Discours).
A la fin du XVIIe siècle, Fontenelle (1657-1757) vulgarise la théorie de Vhéliocentrisme dans les Entretiens sur la pluralité des mondes (1686 ; 1742 : nouvelle éd. remaniée) : il y explique cette théorie à une marquise. La question de l’héliocentrisme revêt une grande importance dans la pensée des hommes des Lumières : elle est la preuve de [‘autorité abusive de [‘Eglise (entrave à la echerche) ; elle est la preuve, contre cette autorité, des capacités de l’homme (Copernic a fait usage de la lumière naturelle dans son raisonnement ; Galilée a vérifié par l’observation sa théorie).
La confiance dans la lumière naturelle et les sens de l’homme ouvre la voie au progrès des connaissances : « Ce que nous connaissons déjà doit nous faire juger de ce que nous pourrons connaitre ; l’esprit humain n’a pas de bornes, il s’étend à mesure que l’Univers se déploie ; l’homme peut donc et doit tout tenter, il ne lui faut que du temps pour tout savoir. ? (Georges Louis Leclerc, omte de Buffon, Histoire naturelle générale et particulière, Des mulets ; www. buffon. cnrs. fr, tome III, p. B) Une quête du bonheur Il s’agit d’un bonheur terrestre : il se définit par opposition à la conception chrétienne (péché ori inel, vie d’expiation et seul espoir définit par opposition à la conception chrétienne (péché originel, d’expiation et seul espoir dans l’au-delà).
Dans Pesprit des Lumières, il faut libérer l’homme de ces entraves (Diderot : « Il n’y a qu’un devoir, c’est d’être heureux. ») Etre heureux, c’est le bonheur individuel, mais aussi (et peut être surtout) le bonheur collectif, bonheur de ivre en société : « La sociabilité est dans l’homme un sentiment naturel, fortifié par l’habitude et cultivé par la raison La société est l’ouvrage de la nature qui place l’homme dans la société. ? (D’Holbach, De la politique naturelle, Discours l, De la sociabilité). D’où une interrogatlon sur la manière de falre ce bonheur, interrogation qui porte sur la morale (une morale pour vivre ensemble en société), le gouvernement (formes de gouvernement, origine de l’autorité, lois), l’organisation de la société, l’économie.
C) Le philosophe : un nouvel idéal humain, qui incarne l’esprit es Lumières 1) L’évolution du sens du mot philosophe au cours du XVIIe siècle Dictlonnaire de l’Académie française (1690) Sens traditionnels : a) « qui s’applique à l’étude des sciences, et qui cherche à en connaître les effets par leurs causes et par leurs principes » b) « on appelle philosophe un homme sage qui mène une vie tranquille et retirée, hors de l’embarras des affaires Sens nouveau : Il « se dit quelquefois absolument d’un homme qui, par libertinage d’esprit, se met au-dessus des devoirs et des obli ations ordinaires de la vie civile chrétienne. ? (libertinage paGF