Les boones
Jean Genêt, Les Bonnes, 1947 Présentation En l’absence de Madame, Solange et Claire imitent leur maitresse. Elles endossent tour à tour le rôle de Madame ou d’une des deux bonnes. Ce jeu mélange fascination et répulsion pour une patronne qu’elle vénère mais qu’elles haissent en même temps. jean Genêt pousse à son paroxysme la violence des rapports entre maîtresse et suivantes, transformant les rapports en véritable confrontation. La pièce s’inspire du crime des sœurs Papin, fait divers sup. ,’enu dans les années trente.
La chambre de Mada ouverte sur la façade auche, une porte et le soir. L’actrice qui j u fond, une fenêtre droite, le lit. À rs à profusion. C’est ne petite robe noire de domestique. Sur une chaise, une autre petite robe noire, des bas de fil noirs, une paire de souliers noirs à talons plats. Claire, debout, en combinaison, tournant le dos à la coiffeuse. Son geste -le bras tendu- et le ton seront d’un tragique exaspéré. Et ces gants ! Ces éternels gants ! Je t’ai dit souvent de les laisser ? la cuisine. C’est av page avec ça, sans doute, que tu espères séduire le laitier.
Non, non, ne mens pas, c’est inutile. Pends-les au-dessus de l’évier. Quand comprendras-tu que cette chambre ne doit pas être souillée ? Tout, mais tout ce qui vient de la cuisine est crachat. Sors. Et remporte tes crachats ! Mais cesse ! Pendant cette tirade, Solange jouait avec une paire de gants de caoutchouc, observant ses mains gantées, tantôt en bouquet, tantôt en éventail. Ne te gêne pas, fais ta biche. Et surtout ne te presse pas, nous avons le temps. Sors ! Solange change soudain d’attitude et sort humblement, tenant du bout des doigts les gants de caoutchouc.
Claire s’assied à la coiffeuse. Elle respire les fleurs, caresse les objets de toilette, brosse ses cheveux, arrange son visage. Préparez ma robe. Vite le temps presse. Vous n’êtes pas là ? (Elle se retourne. ) Claire ! Claire ! Entre Solange. Solange Que Madame m’excuse, je préparais le tilleul (Elle prononce tilial. ) de Madame. Claire Disposez mes toilettes. La robe blanche pailletée. L’éventail, les émeraudes. Solange Tous les bijoux de Madame ? Claire Sortez-les. Je veux choisir. (Avec beaucoup dhypocrisie. ) Et naturellement les souliers vernis.
Ceux que vous convoitez depuis des an eaucoup d’hypocrisie. ) Et naturellement les souliers vernis. Ceux que vous convoitez depuis des années. Solange prend dans l’armoire quelques écrins qu’elle ouvre et dispose sur le lit. Pour votre noce sans doute. Avouez qu’il vous a séduite ! Que vous êtes grosse ! Avouez-le ! Solange s’accroupit sur le tapis et, crachant dessus, cire des escarpins vernis. Je vous ai dit, Claire, d’éviter les crachats. Qu’ils dorment en vous, ma fille, qu’ils y croupissent. Ah! ah! vous êtes hideuse, ma belle. Penchez-vous davantage et vous regardez dans mes souliers. Elle end son pied que Solange examine. ) Pensez-vous qu’il me soit agréable de me savoir le pied enveloppé par les voiles de votre salive ? Par la brume de vos marécages ? Solange, à genoux et très humble. Je désire que Madame soit belle. Claire, elle s’arrange dans la glace. Vous me détestez, n’est-ce pas ? Vous m’écrasez sous vos prévenances, sous votre humilité, sous les glaieuls et le réséda. (Elle se lève et d’un ton plus bas. ) On s’encombre inutilement. Il y a trop de fleurs. Cest mortel. (Elle se mire encore. ) Je serai belle. Plus que vous ne le serez jamais.