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LIB-RATION MERCREDI 21 JANVIER 2015 18 – REBONDS «La manifestation du 11 janvier est • le type même de l’événement monstre» e 11 janvier, près de quatre millions de Français se sont retrouvés dans la rue après les attentats à Charlie Hebdo et ‘Hyper Ca cher. Derrière l’unanimisme de la marche, qu’est- ce que les citoyens ont voulu exprimer sur leur rapport à la nation et à la de • – – – mocratie? Historien, spécialiste du sentiment national, PIERRE NORA historique, sorte de c ment monstre », esti qui reprend à l’occasi Swape v mouvement vénel- 1 istorien de larevue le Débat, avait forgé pour Mai 68.

En tant qu’historien, comment analysez-vous les deux dernières semaines que vient de vivre la France? Au-delà de la sidération et de l’émotion, on ne peut qu’être frappé par les paradoxes que véhicule cette énorme et mystérieuse affaire. Le premier, c’est le contraste entre le point de départ, si tragique et intra national (les jihadistes sont tous français) – dont la barbarie a d’autres équivalents à Bruxelles ou Toulouse – et l’énormité jamais vue de pareille réaction, à la fois dans la manifestation et jusqia’ aux 7 millions d’exemplaires imprimés par Charlie Hebdo, une première dans ‘hlstoire de la presse.

Ce journal était peu lu et correspondait 2 une fraction très minoritaire de la sensibilité sensibilité nationale collective. Or, la défense de ce titre marginal s’est non seulement généraliséê, mais elle est devenue centrale dans le rapport à la nation. ly a eu une sorte d’emboîtement entre différents éléments. Un emboitement problématique entre -presse et la liberté de la presse assimilée à Charlie, la liberté d’exl_e terrorisme semblait pression, avec tout ce que cela aveugle.

Là, il y a eu véhicule de symbole de la déunè sorte de mobilisation ocratie, et du coup emboîtecomme si soudain le collectif ment avec la démocratie, la nase réveillait dans l’individuel. tion, la République, la laitité, la France. Une sorte de symbolique s’est organisée dans cette constellation. Mais surtout il y a eu un emboîtement de l’individuel et du collectif. Une dialectique très neuves’ est opérée entre le sentiment de chacun d’avoir été pour la première fois concerné personnellement. Car cet attentat était ciblé, il n’a pas tué de façon aveugle comme celui du RER B Saint- Michel en 1995.

Les plus horribles attentats dont es victimes sont des enfants, les décapitations par Daech n’ont pas suscité une telle réaction collective. Le terrorisme semblait aveugle. Là, il y a eu une sorte de mobilisation individuelle comme SI soudain le collectif se réveillait dans l’individuel. On a pu s’identi- . fier : «Je suis Charlie.  » Pourquoi une telle alchinùe? Ncius venons d’assister à une dynamique du collectif, , extraordinairement forte et puissante, dans une société de plus en plus 2 OF s collectif, , en plus individualiste.

Cette réaction a ranimé le sentiment dans ce monde d’être enfin des sujets. II y a eu un passage de l’objet au sujet individuel. Ce pays d’abstentionnistes a voté! Mais qu’at -on voté? Cest à la fois contradictoire et mystérieux. C’est l’autre paradoxe de cette manifestation: le mélange du fusionnel et du conjuratoire. Les premières manifestations ont eu lieu dès le mercredi soir à la République. Comme des moments de communion. Des précédents historiques? La France est spécialiste de ces événements fusionnels porteurs de. contradictions. ar exemple, la fête de la Fédération, le 14juillet1790, qui commémore le premier anniversaire de la prise de la Bastille. Cette fête ut organisée par la Constituante, elle rassemblait toutes les provinces. Le mot d’ordre était aussi : «Tous unis», «Nous sommes un peuple». L’homme qui a rendu cet épisode mythique est l’historien Jules Michelet, sa description est plllii que lyrique, il y voit le sommet de la Révolution et le sommet de l’histoire de France. Je pense aussi au 13mai1958 à Alger, sur le Forum d’Alger, suivi du «Je vous ai compris» avec tous les malentendus que l’on sait.

Mai 68 fut aussi très fusionnel et porteur de conjuratoire. e thème du 11 janvier était «On n’a pas peur». Alors que tout le monde a peur. Les musulmans ont peur et ils ont raison, les juifs ont peur, et ils ont aussi raison, les policiers, vous et moi 3 OF s raison, les Juifs ont peur, et ils ont aussi raison, les policiers, vous et moi. Cet unanimisme conjuratoire est aussi l’expression compensée de clivages très profonds, d’oppositions, de peurs au sein de la société.

Beaucoup ne se sentent pas Charlie, du côté de la «Manifpour tous», dans les mosquées, en banlieue, on l’a vu avec les minutes de silence boycottées. Ce repli spontané des communautés sur elles- mêmes qui nous inquiète tant a été exorcisé par une manifestation athartique. La contrepartie du «Je suis Charlie» renvoie plutôt à la dissidence, à la mise en cause de l’angélisme apparemment unanime, à tous ceux qui ne voient dans ce drame que complot et manipulation.

La Marseillaise à « Assemblée nationale a fait écho ? ce que la manifestation avait exprimé dans la rue, une sorte de pétition nationale bouleversante, qui dément tout déclinisme, tout abstentionnisme. Ce fut comme un réveil d’inconscient, républicain, patriote. Cest cela qui a ému le monde entier, les étrangers aussi ont voté France. Cette réunion internationale dans les rues e Paris, où figuraient dillustres censeurs de la liberté et pourvoyeurs du terrorisme international, était proprement surréaliste.

Ce n’est quand même pas par hasard si cet événement est inten,’enu en France et si la mobilisation a été mondiale, – ce qui n’a pas été le cas à New York après 11 septembre 2001. Cest que la France garde encore l’image du pays des droits de l’homme, et de la liberté. Il faut s’en réjouir. Même SI cer 4 OF S encore l’image du pays des droits de si certains réactionnaires parlent de ce pays avec nos talgie, il reste un socle républicain. Après, il faut se oser la question: que construire sur ce socle? Il est plus facile de communier que de construire.

Quelles suites possibles à cette mobilisation? Un événement n’est jamais ce qu’il a l’air d’être, il peut même signifier le contraire. Qui sait si ce que nous avons vécu comme un sursaut explosif de la conscience républicaine ne marquera pas dans l’avenir le début d’une ère nouvelle de fractures encore plus dures, de divisions tragiques et de conflits sur le plan national? pour le moment, il reste un inconscient collectif qu’on n’attendait pas, un acquis positif. Un événement est un coup de sonde dans les profondeurs ociales, un jaillissement révélateur, un geyser.

Dans une société banalisée, normalisée, l’événement est l’expression du merveilleux démocratique. A l’heure d’Internet, ce 11 janvier est le type même de ce que j’avais autrefois appelé (d’événement monstre» (1). Recueilli par CATHERINE CALVET et CÉCILE DAUMAS (1) Article repris sous le titre «Le retour de l’événement» dans «Présent, nation, mémoire», Gallimard, 2011. L’ŒIL DE WILLEM rovR IAIJVI 6ARDER LA LI BER if D’EXPRES51DN ON vous A RÉSE-VÉ UN IOCAL POUR. 6LASfHÉMER fRANQV1utMEJ. Jr SANS 6LES5EI{ AvrRvL S OF s