Horace
Horace OF45 p g « Cette pièce ne vise du Nouveau, dont un bat de l’Ancien et aurait décider[… ] ; elle Vise à le porter dans le nouveau public, qui lui, en décide. »1 Introduction Georges Forestier estime, dans son Essai de génétique théâtrale. Corneille à l’œuvre2, que l’efficacité de la dramaturgie classique cornélienne tient particulièrement au « principe de composition régressive », c’est-à-dire à la manière dont l’auteur met en drame la source historique à partir de la conclusion qu’il a choisie et donc de la réflexion finale qu’il veut proposer par son œuvre.
Il faudrait jouter que ce principe est premier dans toute réécriture, puisque c’est notamment l’actualisation ou la déformation de la réflexion littéraire traitant le sujet, sa pièce Horace, en 1640. Quoi qu’il juge ne pas avoir le droit de recourir trop à l’invention, le sujet étant déjà connu de ses spectateurs3, il imagine personnages et situations afin de faire porter des valeurs et une réflexion propres à sa pièce.
Se saisissant du sujet pour écrire une « pièce didactique sur la dialectique à l’usage des enfants »4, Bertolt Brecht effectue non seulement pour sa pièce de 1935 Die Horatier und die Kuriatier le travail de simplification requis par son public, et celui d’adaptation aux Idéaux du communisme, mais va jusqu’à le refondre entièrement.
Il est cependant significatif, comme nous le verrons, qu’il ait conservé ce titre alors que son traitement extrêmement original aurait pu sans illogisme ou plagiat appeler un titre nouveau. Heiner Müller écrit Der Horatier (1969) en réaction au Lehrstück (la pièce didactique) brechtien. Cherchant à « prolonger l’œuvre brechtienne au lieu de l’exhumer Y, il veut « commencer là où il s’est arrêté, utrement dit entreprendre un dialogue critique avec la théorie et la pratique du fondateur du Lehrstück »5.
Quel meilleur moyen de s’y prendre alors que d’écrire une pièce sur un sujet déj? traité par Brecht, mais en l’intégrant à sa « série expérimentale », c’est-à-dire à celles de ses pièces qui se présentent comme des variations personnelles sur les matériaux de la pièce didactique, infléchi vers un théâtre des contradictions, « peu conforme ? l’optimisme de mise dans la société du socialisme réellement existant « 6 ?
Ces trois œuvres, on le volt, sont fortement arquées et sous-tendues par des contextes et des visions du 2 5 le voit, sont fortement marquées et sous-tendues par des contextes et des visions du monde extrêmement différents. Nous verrons donc comment le choix d’un même hypotexte, puis l’accumulation progressive d’hypotextes7, permettent une mise à distance qui singularise l’œuvre aussi bien sur le plan dramaturgique que sur l’interprétation du monde et l’action sur le monde qu’elle propose.
Il s’agira d’abord de caractériser le travail de réécriture effectué par chacun de ses auteurs en nous penchant sur ses procédés, afin de mieux distinguer la refonte tructurelle et diégétique opérée par chacun. Ce travail nécessaire de balisage nous permettra d’en inférer les réflexions spécifiques sur I’Histoire et la politique. Nous préciserons enfin la place accordée dans ces trois pièces au rapport entre individu et la société, qui constitue probablement l’un des motifs essentiels de cette réécriture. . « Dans une chose il y a bien des choses » : Modalités de la réécriture Il existait deux possibilités de travailler cette partie : soit en traitant les œuvres les unes après les autres, soit en définissant des thèmes communs (le contexte, le combat, le meurtre de la œur, le jugement), ensuite comparés dans les différentes œuvres. La première a été préférée à la seconde en raison des différences parfois trop profondes dans la manière d’aborder le sujet.
S’il s’agira d’abord de comparer longuement Tite-Live et Denys d’Halicarnasse afin de rappeler l’histoire des Horaces et des Curiaces par les regards croisés de deux historiens et de rendre compte de la richesse des hypotextes, et par conséquent de justifier leur capacité à ser 3 5 de rendre compte de la richesse des hypotextes, et par conséquent de justifier leur capacité a servir d’assises à pareilles éécritures, les hypertextes progressifs seront traités plus vite, parce que nous les étudierons en rapport avec les hypotextes, et non pour eux-memes.
A. Différences entre Tite-Live et Denys d’Halicarnasse 1) Le combat Dès les causes de la guerre, les deux auteurs divergent assez profondément. Si pour Tite-l_ive Tullus Hostilius a profité d’une querelle de laboureurs pour déclencher une guerre qu’il désirait ardemment8, il ne s’agit chez Denys dHalicarnasse que de décider, de Rome et d’Albe, laquelle était la plus policée, et partant la plus digne de gouverner le Latium.
Ainsi, chez le Latin, Albe envahit le territoire de Rome, déclenchant une guerre sanglante. Mais le dictateur albain, Mettius Fufétius, fait remarquer à Tullus Hostilius que les Étrusques « n’attendent que leur affaiblissement mutuel pour conquérir leurs territoires ». « II y avait par hasard dans chacune des deux armées trois frères jumeaux, à peu près de même force et de même âge. » (l, 24), et c’est pourquoi ce duel semble aux deux chefs une solution plus économique.
Denys n’envisage à aucun moment qu’une guerre ait pu éclater entre les deux cités, et préfère la version plus acifique consistant à penser que les discours des deux chefs n’ayant pas suffi à décider laquelle des deux cités méritait l’empire sur l’autre, un autre moyen d’accommodement est proposé par Tullius : « Ce moyen d’accommodement que j’ai ? vous proposer, c’est de remettre de part et d’autre la décision du différend et le péril du combat à un petit 4 5 proposer, c’est de remettre de part et d’autre la décision du différend et le péril du combat à un petit nombre de soldats choisis des deux armées, et de donner l’autorité souveraine ? celle des deux villes dont les champions demeureront victorieux e leurs adversaires. » (Livre 3, Chapitre 3, paragraphe 24).
Son désir de romancer cette histoire, qui passait d’abord simplement par l’invention de longs discours, pratique courante chez les historiens antiques, va alors jusqu’à imaginer « que les dieux prévoyant depuis longtemps le combat qui devait décider entre les deux peuples, avaient fait naître des combattants de deux illustres familles, braves dans la guerre, bien faits de leur personne, d’une taille avantageuse, d’une naissance non commune, mais rare et extraordinaire. Secienus dAlbe avait marié dans un même jour ses deux filles jumelles ; l’une à un Romain nommé Horace , l’autre à Curace Albain de nation. Devenues enceintes toutes deux dans le même temps elles avaient ms au monde dans leurs premières couches chacune trois jumeaux.
Les pères de ces enfants regardant cet événement comme un heureux présage pour leur patrie et pour leur famille, les avaient élevés tous jusqu’à un âge parfait. Dieu, comme je l’ai dit d’abord, leur avait donné de la force, de la beauté , de la grandeur d’âme ; en sorte qu’il n’y avait personne, quelque avantage qu’il pût être des dons de la nature, à qui ils cédassent en valeur. » (3, 4, V). Ce qui n’était que hasard chez Tite-Live evient décision divine, et les six jeunes gens robustes ne sont pas loin d’être métamorphosés en demi-dieux par Denys, cousins de surcroît, ce qui s 5 loin d’être métamorphosés en demi-dieux par Denys, cousins de surcroît, ce qui ne fait qu’attiser les scrupules des généraux, envoyant à la mort des hommes si proches par le sang.
Il était dès lors invraisemblable que, comme chez Tite-Live, deux des Horaces meurent lors du premier assaut, laissant les trois Curiates blessés, mais bien en vie. Il fait alors le choix cohérent de faire mourir d’abord un Horace, puis un Curiace, puis un nouvel Horace. Le dénouement du combat varie donc légèrement, puisque la ruse consistant à feindre la fuite pour se retourner vers ses adversaires épuisés ne permet plus au dernier Horace que de tuer deux Albains. Enfin, il triomphe. 2) La sœur d’Horace et le jugement Les deux historiens attendent la rencontre du dernier Horace avec sa sœur pour nous apprendre que celle-ci était fiancée à l’un des Curiaces, retard très étonnant chez Denys surtout, qui aurait pu ajouter ce détail au cousinage des deux familles pour accentuer le pathos.
Reconnaissant sur les épaules d’Horace la unique ou la cotte de mailles de son fiancé, par elle-même confectionné, elle pleure sa mort chez Tite-Live ou « déchire ses habits ; elle se frappe la poitrine de ses deux mains ; elle appelle son cousin ; l’air retentit de ses gémissements, et elle fait paraître tant de désespoir , que tous ceux qui l’entendent en sont épouvantés. » (3, 6, 11-111), avant de se lancer en imprécations chez Denys. Scandalisé par cette douleur qui ternit la victoire de Rome et fait honte à leur famille, Horace la tue. Le peuple et le sénat scandalisés le traînent alors devant le roi. Tandis que, pour ‘historien romain, i 6 5 et le sénat scandalisés le traînent alors devant le roi.
Tandis que, pour l’historien romain, ils ne se réfèrent qu’à leur horreur devant ce crime pour justifier la comparution en justice de Publius Horatius, Denys précise une double-motivation juridique et sacrée : personne n’a le droit de tuer qui n’a été jugé, et certaines villes ont encouru la colère des Dieux pour n’avoir pas assez sévèrement châtié des criminels. Mais la reconnaissance due au vainqueur d’Albe et le pardon que lui accorde son père dans une affaire domestique dans laquelle il devrait être seul ? ouvoir légiférer le font douter. Tite-l_ive le fait d’abord juger par les duumvirs9, qui le condamnent, puis, Horace ayant fait appe de leur décision sur le conseil de Tullus Hostilius, par le peuple.
Vaincu par la grande plaidoirie du vieil Horace, le peuple Pabsout, mais « cette grâce leur fut arrachée plutôt par l’admiration qu’inspirait son courage, que par la bonté de sa cause » (l, 26). Pour Denys, ullius fait immédiatement appel au peuple. « Ce fut alors pour la première fois que le peuple Romain se vit le maître d’un procès criminel ; il se rangea du côté du père, et éclara Horace absous de tout crime d’homicide. » (3, 7, Ill). Les deux auteurs nuancent cependant cette deuxième victoire d’Horace « pour qu’un crime aussi éclatant ne restât pas sans expiation » (Ab urbe condita libri, l, 26), et précisent qu’en plus de sacrifices expiatoires, le père dut payer une amende et faire passer son fils sous le joug, en signe de fidélité et de soumission à Rome.
Tite-Live conclut Ihistoire des Horaces et des Curiaces en évoquant la construction d’un tombeau 5 Tite-Live conclut l’histoire des Horaces et des Curiaces en évoquant la construction d’un tombeau élevé à l’endroit où fut ssassinée la sœur d’Horace, sans préciser s’il s’agit d’un tombeau symbolique ou si elle y fut réellement placée. L’accumulation de divergences minimes suffisent à faire de ces deux narrations à prétention historique deux versions parfois contradictoires sur les faits et donc sur des éléments d’interprétation. L’absence d’un hypotexte unique permet ainsi en partie d’expliquer les différences radicales qui existeront entre les hypertextes. 3.
Pierre corneille Trois faits frappent d’abord tout lecteur de la pièce de Corneille qui connaîtrait les hypotextes, et principalement Tite-Live, qui est a source la plus revendiquée par le dramaturge : d’une part la transposition générique, du récit d’histoire au théâtre, ensuite la longueur, puisqu’un épisode qui est résumé en deux chapitres par Tite-Live (les chapitres 24 et 25 du Livre l) et en quatre par Denys d’Halicarnasse (les chapitres 4 à 7 du Livre Ill) occupe désormais 1 794 vers répartis en vingt-sept scènes (cinq actes) ; enfin l’invention de nouveaux personnages. Ces transformations sont étroitement liées les unes aux autres, puisque le genre théâtral comme la longueur choisie imposent un certain nombre de contraintes, à commencer par le lieu. our respecter l’unité de lieu, Corneille a en effet choisi de placer la scène « à Rome, dans une salle de la maison d’Horace Il se place donc déjà dans la même optique que Tite-l_ive et Denys, qui narraient l’histoire des Horaces et des Curiaces du point de vue de l’histoire romaine. Mais ce choix i 8 5 narraient l’histoire des Horaces et des Curiaces du point de vue de l’histoire romaine.
Mais ce choix impose aussi d’autres restrictions, telle la distance du combat, dont il semblerait illogique qu’il ait lieu dans Rome, ou l’impossibilité de montrer le peuple, qui avait pourtant voix au chapitre chez les historiens. Cest donc le roi Tulle qui sera le porte-voix du peuple, ce qul interdit de le montrer tyrannique ou assoiffé de pouvoir, puisque son jugement doit être celui de l’opinion générale, et non d’un roi en particulier. pour renforcer le pathos, Corneille donne également une identité à Camille, qui n’était désignée chez Tite-Live et Denys que comme la sœur d’Horace ou la fiancée de Curiace. Il lui donne Sabine pour pendant, personnage qu’il estime « assez heureusement inventé » dans l’examen dlHorace, puisqu’il intensifie les liens entre les deux familles, et donc le drame de la rupture.
Si Camille n’est que fiancée à Curiace, Sabine est cependant l’épouse d’Horace, dans une recherche de réalisme psychologique, son caractère bien trempé correspondant mal à la figure d’un jeune premier tout épris d’amour. De même que Curiace sera le seul des frères Curiaces représentés, Horace sera le seul des trois Horaces à paraître sur scène, les autres n’étant qu’évoqués dans le récit des combats. La pièce est ainsi resserrée autour des personnages principaux. Julie, Flavian et Procule ont des rôles secondaires au sens premier du mot : ils sont là pour seconder l’action et les ersonnages, sans porter eux-mêmes de valeurs.
Procule ne prononce ainsi que deux phrases à l’acte IV, scène 6, sans doute parce qu’il était la 45 parce qu’il était la seule présence possible au côté d’Horace après l’assassinat de sa sœur ; Flavian est à peine plus présent, puisqu’il a droit à cinq répliques à l’acte Il, scène 3, mais qui pouvait annoncer à Curiace le choix fait par « le dictateur » sinon un autre Albain ? Or il devait paraître malaisé de faire paraître Féfétius, qui aurait pris trop d’ampleur sur scène dans un parallèle nécessaire avec Tulle. Si Julie parle nettement davantage, c’est qu’elle a le rôle de la confidente aussi bien de Camille que de Sabine, et joue donc le rôle de révélateur des passions des protagonistes échu ? cette fonction, dans les scènes 1 (avec Sabine) et 2 (avec Camille) de l’acte I.
Elle annonce ensuite à l’acte Ill, scène 2„ à Sabine que les Horaces et les Curiaces s’obstinent à se battre, comme dans les hypotextes, alors que tous cherchent à les séparer, dans une émotion comparable à celle suscitée par leur combat chez Denys : « II n’était pas besoin d’un si tendre spectacle : Leur vue à leur combat apporte assez d’obstacle. Sitôt qu’ils ont paru prêts à se mesurer, On a dans les deux camps entendu murmurer : À voir de tels amis, des personnes si proches, Venir pour leur patrie aux mortelles approches, L’un s’émeut de pitié, l’autre est saisi d’horreur, ‘autre d’un si grand zèle admire la fureur ; Tel porte Jusqu’aux cieux leur vertu sans égale, Et tel l’ose nommer sacrilège et brutale. Ces divers sentiments n’ont pourtant qu’une voix ; Tous accusent leurs chefs, tous détestent leur choix , Et ne pouvant souffrir un combat si barbare, On s’écrie, 0 OF sS