Gilles Deleuze L Image Mouvement Book Hellip
nd] I-r Ai Nu or4fi7 Sni* to View 2 0613-1 L 5405566777 rq 1-) les copies ou reproduclions destinées à une utilisation colleelive. Toute représent. lion ou reproductioll intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et cOll. lliluc Mlle I sallèlionnéc par les articles 425 et suivants du Code pénal. cd . fi9 @ 1983 by LES ÉDITIONS DE MINUIT 7, rue Bernard-PaIissy – 75006 Paris avant•propos Cette étude n’est pas une histoire du cmema. C’est une taxinomie, un essai de classification des images et des signes.
Mals ce premier volume doit se contenter de déterminer les éléments, et encore les éléments d’une seule partie de la classification. Nous nous référons souvent au logicien américain Peirce (1839-1914), parce qu’il a établi une classification générale des images et des sienes, lus complète et la plus n’est pas sûr qu’on en ait tiré toutes les conséquences, Malgré la critique trop sommaire que Bergson un peu plus tard fera du cinéma, rien ne peut empêcher la conjonction de l’image. mouvement, telle qu’il la considère, et de l’image cinématographique.
Nous traitons dans cette première partie de l’image-mouvement, et de ses variétés. L’image-temps fera l’objet d’une seconde partie. Les grands auteurs ide cinéma nous ont semblé confrontables, non seulement à des peintres, des architectes, des musiciens, mais aussi à des penseurs. Ils pensent avec 7 sd chapitre 1 thèses sur le mouvelnent reproduction qui viendrait illustrer notre texte, parce que c’est notre texte au contraire qui voudrait n’être qu’une illustration de grands :61ms dont chacun de nous a plus ou moins le souvenir, l’émotion ou la perception.
Bergson ne présente pas une seule thèse sur le mouvement, mais trois. La première est la plus célèbre, et risque de nous cacher les deux autres. Elle n’est pourtant qu’une introduction aux autres. D’après cette première thèse, le mouvement ne se confond pas avec l’espace parcouru. L’espace parcouru est passé, le mouvement est présent, c’est l’acte de parcourir. Liespace parcouru est divisible, et même infiniment divisible, tandis que le mouvement est indivisible, ou ne se divise pas sans changer de nature à chaque division.
Ce qui suppose déjà une idée plus complexe : les espaces parcourus ppartiennent tous à un seul et même espace homogene, tandis que les mouvements sont hétérogènes, irréductibles entre eux. Mals, avant de se développer, la première thèse a un autre énoncé : vous ne pouvez pas reconstituer le mouvement avec des positions dans l’espace ou des instants dans le temps, c’est-à-dire avec des « coupes » immobiles…
Cette reconstitution, vous ne la faites qu’en joignant aux positions ou aux instants l’idée abstraite d’une succession, d’un temps mécanique, homogène, universel et décalqué de l’espace, le même pour tous les mouvements. Et de deux manières alors, vous ratez le mouvement. D’une part, vous aurez beau rapprocher à l’inflni deux instants ou deux positions, le mouvement se fera toujours dans entre les deux, donc derrière deux positions, le mouvement se fera toujours dans l’intervalle entre les deux, donc derrière votre dos.
D’autre part, vous aurez beau diviser et subdiviser THÈSES SUR LE MOUVEMENT L’IMAGE-MOUVEMENT le temps, le mouvement se fera toujours dans un durée concrète, chaque mouvement aura donc sa prol? re dur—e qualitative. On oppose dès lors deux formules uréducu? le : ? mouvement réel durée concrète et « coupes unmobiles + temps abstrait En 1907 dans L’évolution créatrice, Bergson baptise la mauvaise f-rmule : c’est l’illusion cinématographique. Le cinema en effet procède avec deux donnees complémenlair des coupes instantanées qu’on appelle images; . un. ID. ve ment ou un temps impersonnel, uniforme, abstralt, Inv1S1bJ ou imperceptible, qul est « dans » l’appar il et avec » lequel on fait défiler ima—es 1. Le ciné-a nous I Ivr donc un faux mouvement, il est 1 exemple typlque du faux mou: vement. Mais il est curieux que Bergson donne un no—. SI oderne et si récent cinématographique ,à la plus vl—llle illusion. En effet, dit Bergson, quand le crnema reCO? st1-ue le mouvement avec des coupes immobiles, il ne fait n n d’autre que ce que faisait déjà l- plus vieill: pensée (les paradoxes de Zéno ), ou ce que falt la n—turelle.
A cet égard, Bergson se distingue de la pheno—enologle, pour qui le cinéma romprait plutôt avec les condltlons . d: la perception naturelle. Nous prenons des vues quaSl nées sur la réalité qui passe, et, comme elles sont caracte—ls tiques de cette réali—é, il no-s set de. les, enfiler le lon— d un evenir abstrait, sont caracte—l s tiques de cette réali-é, il no-s s. -t de. les, enfiler le lon- d un devenir abstrait, uniforme, mVlSlble, situe au fond de 1 appareil de la connaissance… perception, intellection, langage cèdent en général ainsi. Qu’il s’agisse de . penser le dev. Olr, ou de l’exprimer, ou même de le percevou, n? u— ne fal sons guère autre chose qu’actionner une espèce de cmemato-aphe intérieur. » Faut-il compre? dre que, selon -ergsa,n, le . crne—a serait seulement la pro]ectlon, la reproduc-lon d. une ill-slon constante universelle? Comme si l’on avalt tOUjours falt du inéma s-s le savoir? Mais alors, beaucoup de problèmes Et d’abord la reproduction de l’illusion n’est-elle pas alJSS sa correction d’une certaine manière? Peut-on conclure de l’artificialité ‘des moyens à l’artificialité du résultat? Le 1. L’évolution créatrice, p. 753 (305).
Nous citons l- textes d- B. ergson • d’après l’édition dite du Centenaire; et entre parentheses, nous mdiquons la pagination de l’édition courante de chaque livre (P. IJ. cinéma procède avec des photogrammes, c’est-à-dire avec des coupes immobiles, vingt-quatre images/seconde (ou dixhuit au début). Mais ce qu’il nous donne, on l’a souvent remarqué, ce n’est pas le photogramme, c’est une image moyenne à laquelle le mouvement ne s’ajoute pas, ne s’additionne pas : le mouvement appartient au contraire à l’image moyenne comme donnée immédiate. On dira qu’il en est de même pour la perception naturelle.
Mais, là, l’illusion est corrigée en amont de la perception, par les conditions qui rendent la perception possible dans le sujet en amont de la perception, par les conditions qui rendent la perception possible dans le sujet. Tandis qu’au cinéma elle est corrigée en même temps que l’image appara*t, our un spectateur hors conditions (à cet égard, nous le verrons, la hénoménologie a raison de supposer une différence de nature entre la perception naturelle et la perception cinématographique). Bref, le cinéma ne nous donne pas une image à laquelle il ajouterait du mouvement, il nous donne immédiatement une image-mouvement.
II nous donne bien une coupe, mais une coupe mobile, et non pas une coupe immobile + du mouvement abstrait. Or, ce qui est à nouveau très curieux, c’est que Bergson avait parfaitement découvert l’existence des coupes mobiles ou des images-mouvements. Cétait avant L’évolution créatrice, et avant la naissance officielle du cinéma, c’était dans Matière et mémoire en 1896. La découverte de l’image-mouvement, au-delà des conditions de la perception naturelle, était la prodigieuse invention du premier chapitre de Matière et mémoire.
Faut-il croire que Bergson l’avait oubliée dix ans plus tard? Ou bien se laissait-il prendre à une autre illusion qui frappe toute chose à ses débuts? On sait que les choses et les personnes sont toujours forcées de se cacher, déterminées à se cacher quand elles commencent. Comment en serait-il autrement? Elles surgissent dans un ensemble qui ne les comportait pas encore, et doivent mettre en avant les caractères communs qu’elles conservent avec l’ensemble, pour ne pas être rejetées.
L’essence d’une chose n’apparaît jamais au début, mais au milieu, dans le courant de rejetées. L’essence d’une chose n’apparaît jamais au début, mais au milieu, dans le courant de son développement, quand ses forces sont affermies. Cela, Bergson le savait mieux que quiconque, lui qui avait transformé la phllosophie en posant la question du « nouveau » au lieu de celle de l’éternité (comment la production et l’apparition de quelque hose de nouveau sont-elles possibles? Par exemple’, il 11 10 disait que la nouveauté de la vie ne pouvait pa apparaître à ses débuts, parce qu’au début la vie était bien f rcé d’imiter la matière… N’est-ce pas la même chose pour] cin ma ? Le cinéma à ses débuts n’est-il pas forcé d’imit r la p r ption naturelle? Et, mieux encore, quelle était la ituati n du cinéma au début? D’une part la prise de vu ét it fi. c, le plan étalt donc spatial et formellement immobil j d’autre part l’appareil de prise de vue était confondu av l’appar il de projection, doué d’un temps uniforme ab trait.
L’ volune ou n ution du cinéma, la conquête de sa propre veauté, se fera par le montage, la caméra mobil t I’ man• cipation de la prise de vue qui se sépare de la pr j ti Alors le plan cessera d’être une catégorie spatiale pour devenir temporel; et la coupe sera une coupe mobile t non plus immobile. Le cinéma retrouvera exactement l’ima ernouv. ement du premier chapitre de Matière et mémoire. Il faut conclure que la première thèse de Berg n sur le mouvement est plus complexe qu’il ne semblait d’a rd.
Il y a d’une part une critique cantre toutes 1 t ntativ de econstituer le mouveme parcouru, c part une critique contre toutes 1 t ntativ de reconstituer le mouvement avec l’espace parcouru, c t•à-dire en additionnant coupes immobiles instantané t temps abstrait. Ily a d’autre part la critique du cinéma, dénoncé comme une de ces tentatives illusoires, comme la tentative qui fait culminer l’illusion. Mais il y a aussi la th e de Matière et mémoire, les coupes mobiles, les plans temporels, et qui pressentait de manière prophétique l’avenir ou l’essence du cinéma. 2 2. ac, p. 774 (330). 3. BC, p. 779 (335). q 12 ! fc Or, justement, L’évolution créatrice présente une seconde thèse qui, au lieu de tout réduire à une même illusion sur le mouvement, distingue au moins deux illusions très différentes. L’erreur c’est toujours de reconstituer le mouvement avec des instants ou des positions, mais il y a deux façons de le faire, l’antique et la moderne. Pour l’antiquité, le mouvement renvoie à des éléments intelligibles, Formes ou Idées qui sont elles-mêmes éternelles et immobiles. Bien sûr, pour reconstituer le mouvement, on salslra ces formes au plus près de leur actualisation dans une matière-flux.
Ce sont des otentialités qui ne passent à l’acte qu’en s’incarnant dans la matière. Mais, inversement le mouvement ne fait qu’exprimer une dialectique » des fo idéale Les formes ou idées « sont censées caractériser une période dont elles exprimeraient la quintessence, tout le reste de cette période étant rempli par le passage, dépourvu d’intérêt en lui-même, d’une forme à une autre forme On note le terme final ou le point culminant (télos, acmè), on l’érige en moment essentiel, et ce moment, que le langage a retenu pour exprimer l’ensemble du fait, suffit aussi à la science pour le caractériser 2 n.
La révolution scientifique moderne a consisté à rapport-r le mouvement, non plus à des instants privilégiés, mais ? l’instant quelconque. Quitte à recomposer le mouvement, on ne le recomposait plus, à partir d’éléments formels transcendants (poses), mais à partlr d’éléments matériels immanents (coupes). Au lieu de faire une synthèse intelligible du mouvement, on en menait une analyse sensible.
Cest ainsi que se constituèrent l’astronomie moderne en déterminant une relation entre une orbite et le temps mis à la parcourir (Kepler), la physique moderne en reliant l’espace arcouru au temps de la chute d’un corps (Galilée), la géométrie moderne en dégageant l’équation d’une courbe plane, c’est-à-dire la position d’un point sur une droite mobile à un moment quelconque de son trajet (Descartes), enfin le calcul infinitésimal, dès qu’on s’avisa de considérer des coupes infi• niment rapprochables (Newton et Leibniz).
Partout, la succession mécanique d’instants quelconques remplaçait l’ordre dialectique des poses : « La science moderne doit se définir surtout par son aspiration à prendre le temps pour variable indépendante 3. » Le cinéma semble bien I PAGF ID OF