central park

essay A

Guillaume Musso Central Park roman 4/281 Les choses qui vous échappent ont plus d’importance que les choses qu’on possède. Somerset MAUGHA Première partie Les enchaînés Alice Sni* to View Je crois qu’en tout homme, il y a un autre homme. Un inconnu, un Conspirateur, un Rusé. Stephen KING D’abord le souffle vif et piquant du vent qui balaie un visage. Le bruissement léger des feuillages. Le murmure distant d’un ruisseau. Le piaillement discret des oiseaux. Les premiers rayons du soleil que ron devine à travers le voile de paupières encore closes. et son rythme cardiaque s’emballa brusquement.

Cherchant à se dégager, elle bascula sur le sol puis se releva dans le même mouvement. C’est alors qu’elle constata que sa main droite était menottée au poignet gauche de l’inconnu. Elle eut un mouvement de recul, mais l’homme resta immobile. Merde ! Son cœur pulsa dans sa poitrine. Un coup d’œil à sa montre : le cadran de sa vieille Patek était rayé, mais le mécanisme fonctionnait toujours et son calendrier perpétuel indiquait : mardi 8 octobre, 8 heures. Bon sang ! Mais où suis-je ? se demanda-t-elle en essuyant avec manche la transpiration sur son visage.

Elle regarda autour d’elle pour évaluer la situation. Elle se trouvait u cœur d’une forêt dorée par l’automne, un sous-bois frais et dense à la végétation variée. une clairière sauvage et silencieuse entourée de chênes, de bulssons épais et de saillies rocheuses. personne aux alentours et, vu les circonstances, c’était sans doute préférable. Alice leva les yeux. La lumière était belle, douce, presque irréelle. Des flocons scintillaient à travers le feuillage d’un orme immense flamboyant dont les racines trouaient un tapis de feuilles humides.

Forêt de Rambouillet ? Fontainebleau ? Bois de Vincennes ? hasarda-t-elle mentalement. Un tableau impressionniste de carte postale dont la sérénité ontrastait avec la violence de ce reveil surréaliste au côté d’un parfait Inconnu. Prudemment, elle se pen ur mieux distinguer son inconnu. Prudemment, elle se pencha en avant pour mieux distinguer son visage. C’était celui d’un homme, entre trente-cinq et quarante ans, aux cheveux châtains en bataille et à la barbe naissante. Un cadavre ? Elle s’agenouilla et posa trois doigts le long de son cou, à droite de la pomme d’Adam.

Le pouls qu’elle sentit en appuyant sur l’artère carotide la rassura. Le type était inconscient, mais il n’était pas 8/281 mort. Elle prit le temps de l’observer un moment. Le connaissaitelle ? Un voyou qu’elle aurait mis au trou ? Un ami d’enfance qu’elle ne reconnaissait pas ? Non, ces traits ne lui disaient absolument rien. Alice repoussa quelques mèches blondes qui lui tombaient devant les yeux puis considéra les bracelets métalliques qui la liaient ? individu. C’était un modèle standard à double sécurité utilisé par grand nombre de services de police ou de sécurité privée de par monde.

Il était même fort probable qu’il s’agisse de sa propre paire. Alice fouilla dans la poche de son jean en espérant y trouver la Elle n’y était pas. En revanche, elle sentit un calibre, glissé dans la oche intérieure de son blouson de cuir. Croyant retrouver son arme de service, elle referma ses dai s sur la crosse avec soulagement. elle ignorait la provenance. Elle voulut vérifier le chargeur, mais c’était difficile avec une main entravée. Elle y parvint néanmoins au prix de quelques contorsions, tout en prenant garde à ne pas réveiller l’inconnu.

Visiblement, il manquait une balle. En maniant le pistolet, elle prit conscience que la crosse était tachée de sang séché. Elle ouvrit complètement son blouson pour constater que des traînées d’hémoglobine coagulée maculaient également les deux pans de son chemisier. Bordel ! Qu’est-ce que j’ai fait ? Alice se massa les paupières de sa main libre. À présent, une migraine lancinante irradiait dans ses tempes, comme si un étau invisible lui compressait le crâne. Elle respira profondément pour faire refluer sa peur et essaya de regrouper ses souvenirs.

La veille au soir, elle était sortie faire la fête avec trois copines sur les Champs-Élysées. Elle avait beaucoup bu, enchainant les verres dans des bars à cocktails : le Moonlight, le Treizième Étage, le Londonderry… Les quatre amies s’étaient séparées vers minuit. Elle avait regagné seule sa voiture, garée dans le parking souterrain ‘avenue Franklin-Roosevelt, puis… 9/281 Le trou noir. Un voile de coton enveloppait son esprit. Son moulinait dans le vide. Sa mémoire était paralysée, gelée, bloquée sur cette dernière image. Allez, fais un effort, bordel! ue s’est-il passé ensuite ?

Elle se revoyait distinctem lace aux caisses 311 Elle se revoyait distinctement payer sa place aux caisses automatiques, puis descendre les escaliers vers le troisième sous- Elle avait trop picolé, ça, c’était certain. En titubant, elle avalt rejoint sa petite Audi, avait déverrouillé la portière, s’était installée sur le siège et… Plus rien. Elle avait beau essayer de se concentrer, un mur de brique blanche lui barrait raccès à ses souvenirs. Le mur d’Hadrien dressé devant sa réflexion, la muraille de Chine tout entière face à de vaines tentatives. Elle avala sa salive. Son niveau de panique monta d’un cran.

Cette forêt, le sang sur son chemisier, cette arme qui n’était pas la sienne… Il ne s’agissait pas d’une simple gueule de bois un lendemain de fête. Si elle ne se souvenait pas comment elle avait atterri ici, c’était à coup sûr qu’on l’avait droguée. Un taré avait peut-être versé du GHB dans son verre ! C’était bien possible : en tant que lic, elle avait été confrontée ces dernières années à plusieurs affaires impliquant la drogue du VIOL Elle rangea cette idée dans coin de sa tête et entreprit de vider ses poches : son portefeuille et sa carte de flic avaient disparu.

Elle n’avait plus sur elle ni papiers d’identité, ni argent, ni téléphone portable. La détresse vint s’ajouter à la peur. Une branche craqua, faisant s’envoler une nuée de fauvettes. Quelques feuilles roussies voltigèrent dans l’air et frôlèrent le d’Alice. À l’aide de sa main gauche, elle remonta la fermeture Éclair frôlèrent le visage d’Alice. ? raide de sa main gauche, elle remonta la fermeture Éclair de son blouson, en maintenant le haut du vêtement avec menton.

C’est alors qu’elle remarqua au creux de sa main une inscription à l’encre pâle dun stylo-bille ; une suite de numéros notés à la volée, comme une antisèche de collégien menaçant de s’effacer 10/281 2125558900 À quoi correspondaient ces chiffres ? Était-ce elle qui les avait tracés ? Possible, mais pas certain… jugea-t-elle au vu de l’écriture. Elle ferma les yeux un bref instant, désemparée et effrayée. Elle refusa de se laisser abattre. À l’évidence, un événement grave ‘était déroulé cette nuit.

Mais, si elle n’avait plus aucun souvenir cet épisode, Phomme à qui elle était enchainée allait rapidement lui rafraîchir la mémoire. Du moins, c’était ce qu’elle espérait. Ami ou ennemi ? Dans l’ignorance, elle replaça le chargeur dans le Glock et arma le semi-automatique. De sa main libre, elle pointa le calibre en direction de son compagnon avant de le secouer sans ménagement. – Eh ! Oh ! On se réveille ! L’homme avait de la difficulté à émerger. – Bougez-vous, mon vieux ! le brusqua-t-elle en lui secouant l’épaule. Il cligna des yeux et écrasa un bâillement avant de se redresser éniblement.

Lorsqu’il ouvrit les au ières, il marqua un violent mouvement de stupeur e on de l’arme à quelques quelques centimètres de sa tempe. Il regarda Alice les yeux écarquillés puis tourna la tête en tous sens, découvrant abasourdi le paysage sylvestre qui l’entourait. Après quelques secondes de stupéfaction, il avala sa salive puis ouvrit la bouche pour demander en anglais : Mais qui êtes-vous, bon Dieu ? Que faisons-nous ici ? 2 Gabriel Chacun d’entre nous porte en lui un inquiétant étranger. Les frères GRIMM L’inconnu avait parlé avec un fort accent américain, escamotant presque totalement les r.

Où sommes-nous, bordel ? insista-t-il encore en fronçant les sourcils. Alice resserra les doigts autour de la crosse du pistolet. – Je pense que c’est à vous de me le dire ! lui répondit-elle en anglals, en rapprochant le canon du Glock de sa tempe. – Eh, on se calme, d’accord ? demanda-t-il en levant les mains. Et baissez votre arme : c’est dangereux. ces machins-là… Encore mal réveillé, il désigna du menton sa main emprisonnée pa le bracelet d’acier. Pourquoi m’avez-vous passé ces trucs ? Qu’est-ce que j’ai fait cette fois ? Bagarre ? Ivresse sur la voie publique ? Ce n’est pas moi qui vous ai menotté, répliqua-t-elle. Alice le détailla : il portait un jean sombre, une paire de Converse, une chemise bleue froissée et une veste de costume cintrée. Ses yeux, clairs et engageants, étaient cernés et creusés par la fatigue. Fait vraiment pas chaud, se lai nit-il en rentrant la nuque dans les épaules. plaignit-il en rentrant la nuque dans 12/281 Il baissa les yeux vers son poignet pour consulter sa montre, mais elle n’y était pas. – Merde… Quelle heure est-il ? Huit heures du matin. Tant bien que mal, il retourna ses poches avant de s’insurger : – Mais vous m’avez tout piqué !

Mon fric, mon larfeuille, mon téléphone… Je ne vous ai rien volé, assura Alice. Moi aussi, on m’a dépouillée. – Et j’ai une sacrée bosse, constata-t-il en se frottant l’arrière du crâne avec sa main libre. Ça non plus, ce n’est pas vous, bien Sûr ? se plaignit-il, sans vraiment attendre de réponse. Il la regarda du coin de l’œil : vêtue d’un jean serré et d’un blouson de cuir d’où s’échappaient les pans d’un chemisier taché de sang, Alice était une blonde élancée d’une trentaine d’années, dont le chignon était sur le point de se dénouer.

Son visage était dur, harmonieux — pommettes hautes, nez fin, teint diaphane — et ses eux, pailletés par les reflets cuivrés des feuilles d’automne, brillaient intensément. Une douleur le tira de sa contemplation : une sensation de brûlure couralt à l’intérieur de son avant-bras. – Qu’est-ce qui se passe encore ? soupira-t-elle. – J’ai mal, grimaça-t-il. Comme une blessure.. À cause des menottes, Gabriel ne put enlever sa veste ou remonter les manches de sa chemis de contorsions, il réussit de bandage qui enserrait son bras. n pansement fraîchement posé d’où s’échappait une mince trainée de sang qui s’écoulait jusqu’à son poignet. – Bon, on arrête les conneries, maintenant ! s’énewa-t-il. On est là ? ? Wicklow ? La jeune femme secoua la tête. – Wicklow ? Où est-ce ? – une forêt au sud, soupira-t-il. Au sud de quai ? demanda-t-elle. – Vous vous foutez de moi ? Au sud de Dublin ! 13/281 Elle le regarda avec des yeux ronds. – Vous pensez vraiment que nous sommes en Irlande ? Il soupira. – Et où pourrions-nous être, sinon ? Eh bien, en France, j’imagine. Près de Paris.

Je dirais dans la forêt de Rambouillet ou… – Arrêtez votre délire ! la coupa-t-il. Et pus, vous êtes qui, au juste ? – une fille avec un flingue, donc c’est moi qui pose les questions. Il la défia du regard, mais comprit qu’il n’avait pas la situation en main. Il laissa le silence s’installer. – Je m’appelle Alice Schafer, je suis capitaine de police à la brigade criminelle de Paris. J’ai passé la soirée avec des amies sur les Champs-Élysées. J’ignore où nous sommes et comment nous nous sommes retrouvés ici, enchaînés l’un à l’autre.

Et je n’ai pas la moindre idée de votre identité. À vous, maintenant. Après quelques secondes d’hésitation, décliner son identité. – Je suis américain. Mon n l’inconnu se résolut ? I Keyne et ie suis pianiste temps normal, j’habite à Los Angeles, mais je suis souvent sur les routes à cause des concerts. – Quel est votre dernier souvenir ? e pressa-t-elle. Gabriel fronça les sourclls et ferma les yeux pour mieux se concentrer. Eh bien… Hier soir, j’ai joué avec mon bassiste et mon saxophoniste au Brown Sugar, un club de jazz du quartier de Temple Bar, ? Dublin. ? Dublin… Ce type est dingue ! – Après le concert, je me suis installé au bar et j’ai peut-être un peu forcé sur le Cuba libre, continua Gabriel en ouvrant les paupières. – Et ensuite ? – Ensuite. Son visage se crispa et il se mordilla la lèvre. Visiblement, il avait autant de mal qu’elle à se souvenir de sa fin de soirée. 14/281 – Écoutez, je ne sais plus. Je crois que je me suis frité avec un ype qui n’aimait pas ma musique, puis j’ai dragué quelques nanas, mals j’étais trop torché pour en choper une.

Très classe. Très élégant, vraiment. Il balaya le reproche d’un geste de la main et se leva du banc, obligeant Alice à faire de même. D’un geste brusque de l’avant- bras, celle-ci Pobligea à se rasseoir. – J’ai qu tté le club vers mlnuit, affirma-t-il. Je tenais à peine debout. J’ai hélé un taxi sur Aston Quay. Au bout de quelques minutes, une voiture Sest arrêtée et. – Et quoi ? – Je ne sais plus, admit-il. J’ai dû donner l’adresse de mon hôtel et m’écrouler sur la banque PAGF 311