1999 1 Issa Sayegh F 1
ARTICLES Quelques aspects techniques de Pintégration juridique : rexemple des actes uniformes de I’OHADA Joseph Issa-Sayegh * SOMMAIRE LES ASPECTS TECHNIQUES DE L’ELABORATION DES ACTES UNIFORMES – l. – Les incertitudes sur la détermination des matières à uniformiser – A. Le principe posé par le Traité – B. Les limites imposées 1) Les limites explicit implicitement impos l’opportunité – a) Les L’existence d’organis orsg raité — 2) Les limites limites externes – i) i) Cexistence de législations internationales concurrentes – i nationales irréductibles – ?
L’obligation de respecter le droit commun national – ? L’obligation de respecter les règles spéciales nationales Il. – La dualité des procédures d’uniformisation – A. La procédure prévue par le Traité — B. La procédure posslble en droit interne – Ill. – Le cholx de la formulation de l’uniformisation —A. La langue du droit uniforme – B. Le langage du droit uniforme LES ASPECTS TECHNIQUES DE L’APPLICATION DES ACTES – l. – Les difficultés de définir le domaine d’application des Actes uniformes – A.
La variabilité de interrogations sur la procédure — a) La saisine de la CCJA: l’absence de saisine d’office et de pourvoi dans ‘intérêt de la loi – b) Le silence sur les ouvertures à cassation — 2) Les interrogatlons sur la compétence – a) L’amputation de la compétence pénale ? — b) L’extension de la compétence aux questions connexes ? PRESENTATION 1 . – L’intégration juridique de plusieurs Etats (même s’il s’agit de jeunes Etats africains appartenant à la même tradition jurldique comme ceux de la zone franc) est une œuvre mal définie 1 et jamais achevée 2.
Ceux qui l’entreprennent hésitent constamment entre l’harmonisation et l’uniformisation du droit et ne finissent jamais ‘en mesurer l’ampleur ni d’en recenser les difficultés techniques rencontrées pour la professeur agrégé de droit, Universités de Nice (France) et d’Abidjan (Côte d’Ivoire). L’intégration juridique se définit comme le transfert de compétences juridiques étatiques d’un Etat à une organisation dotée de pouvoirs de décision et de compétences supranationales (Vocabulaire juridique Capitant, vo Intégration). 2 Sur l’intégration juridique des Etats de la zone franc, v.
J. ISSA – SAYEGH, « L’intégration juridique des Etats dans la zone franc », Recueil Penant, no 823, 1997, 5 et s. etno 824, 1997, 125 et s. Rev. dr. unif. 1999-1 OF sg mettre en accord des dispositions d’origine différente, plus spécialement à modifier des dispositions existantes afin de les mettre en cohérence entre elles ou avec une réforme nouvelle 4. Tout en respectant plus ou moins le particularisme des législations nationales, l’harmonisation consiste ? réduire les différences et les divergences entre elles en comblant les lacunes des unes et en gommant les aspérités des autres.
Un tel résultat s’obtient au moyen de techniques juridiques douces telles que les directives ou les recommandations qu’une organisation nternationale adopte et adresse aux Etats qui en sont membres. Ces directives et recommandations se contentent d’indiquer les résultats ? atteindre sans imposer la forme et les moyens pour y parvenir si ce n’est que la norme nationale a intervenir doit être revêtue d’un imperium suffisant pour s’imposer dans l’ordre juridique interne.
Il est évident qu’une telle technique d’intégratlon juridique respecte la souveraineté législative et réglementaire nationale, hormis qu’un résultat est imposé. Au demeurant, Pharmonisation peut poursuivre un autre but que celui de réduire es différences entre les législations nationales. Il en est ainsi lorsqu’elle vise à instituer une coordination entre ces législations et une coopération entre les organismes chargés de les appliquer.
A cet égard, on peut citer, à titre d’exemples, certaines conventions de l’OCAM (Organisation commune africaine et mauritanienne) telles que la convention générale de sécurité socia t la convention générale PAGF 3 OF sg judiciaire 5. 3. – Quant à Puniformisation du droit, elle se présente comme une méthode plus radicale de l’intégration juridique puisqu’elle consiste à effacer les ifférences entre les législations nationales en leur substituant un texte unique, rédigé en des termes identiques pour tous les Etats concernés.
Elle peut suivre une voie douce consistant ? proposer aux parlements nationaux un texte unique préparé par une instance internationale; une telle procédure ménage les souverainetés nationales mais est hasardeuse car certains parlements peuvent le repousser, le modifier (avant ou après adoption) ou l’abroger ultérieurement si bien que les promoteurs du texte uniforme risquent sérieusement de ne pas atteindre le but recherché. Cest cette oie qu’a empruntée Pour exemples de la difficulté d’un tel travail, voir G. G ANDOLFI ,’Pour un code européen des contrats », Revue trimestrielle de drolt civil, Vol. 1(1), 1992, 707 et s. ; B. OPPETIT , « L’eurocrate ou le mythe du législateur suprême », Dalloz, 1990, Chr. , 73 et s. ; A. TUNC « Standards juridiques et unification du droit », Revue internationale de droit comparé 1970, 247; D. TALLON , « L’harmonisation des règles de droit privé entre pays de droit civil et de common law », Revue internationale de droit comparé, 1990, 514 J. « Conclusion générale. Droit et monnaie », Etats et espace onétaire international, paris, 1988, 527 et s. 4 Vocabulaire juridique Capitant, vo Harmonisation. Sur ces points, voir J.
ISSA -SAYEGH o . cit. , 23 no 35 et s. et notes 26, 28 et 60. PAGF OF sg Quelques aspects techniques de Pintégration juridique l’exemple de I’OHADA l’IJMOA (Union monétaire de l’ouest africain) jusqu’à sa transformation en UEMOA (Union économique et monétaire de l’ouest africain) 6. 4. – Aussi, certaines organisations internationales ont-elles préféré recourir à une autre formule d’uniformisation en adoptant le principe de la supranationalité qui leur ermet d’introduire directement des normes dans rordre juridique interne de leurs Etats membres.
L’illustration d’une telle méthode est offerte par l’IJEMOA et I’OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires) 7. L’IJEMOA, dans la nouvelle rédaction de son traité, prévoit que les Règlements adoptés par le Conseil des Ministres s’imposent directement aux Etats membres et I’OHADA 8 agit de même à propos de ses Actes uniformes qu’elle impose aux Etats parties.
Bien que les expériences de ces deux organisations soient récentes en matière d’uniformisation du droit, nous hoisissons de privi égier l’étude de [‘OHADA qui apparaît exemplaire pour plusieurs raisons: sur le plan territorial (ratione loci), elle regroupe un plus grand nombre d’Etats que l’UEMOA 9; sur le plan matériel (ratione materiae), elle a vocation à couvrir un domaine juridique plus large que ce PAGF s OF qui a pour but essentiel qui l’organise, offre cinq Actes uniformes 11 qui 6 Sur ce point, voir J.
ISSA -SAYEGH, op. Clt. , no 35 et 69 et s. 7 Sur ces points, voir J. ISSA -SAYEGH, op. cit. , nb 54 et s. et 114 et s. 8 Le Traité OHADA a été signé à Port-Louis le 17 octobre 1993; il ompte aujourd’hui 14 Etats parties. Il est complété par un Règlement de procédure de la Cour commune de justice et d’arbitrage du 18 avril 1996 et par un accord entre la République du Cameroun et IOHADA relatif au siège du Secrétariat permanent du 30 juillet 1997. Ces trois textes sont publiés au no 4 du JO de I’OHADA du 1er novembre 1997.
Pour une étude de I’OHADA en général, voir la bibliographie citée in fine de cet article. Sauf indication contraire, les numéros d’articles sont ceux du Traité. L’UEMOA ne regroupe que les Etats ouest africains de la zone ranc (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Sénégal et Togo) tandis que I’OHADA regroupe, outre ceux de IUEMOA: Cameroun, Comores, Congo – qui a signé mais pas ratifié le Traité Centrafrique, Gabon, Guinée Conakry – qui a signé mais pas ratifié le Traité -r Guinée Bissau, Guinée Equatoriale, Tchad. 0 Il s’agit du Règlement SYSCOA (Système comptable ouest africain). Toutefois, l’UEMOA (exlJMOA) a d’autres textes à son actif mais ils ont été introduits dans le droit interne des Etats membres selon une procédure ménageant leur souveraineté. Voir supra n’ 3. Les textes pris pour l’adoption des règles communes prévues ? l’article 1er sont des « Actes uniformes ».
II s’agit, pour l’ ctes uniformes sur le droit PAGF 6 OF sg général (289 articles) adopté le 17 avril 1997 et entré en vigueur le 1er janvier 1998, publié au JO OHADA na 1 du 1er octobre 1997; sur les sociétés commerciales et le groupement d’intérêt économique (920 articles) adopté le 17 avril 1997 et entré en vigueur le 1er janvier 1998, publié au JO OHADA na 2 du 1er octobre 1997; sur les sûretés (1 51 articles) adopté le 17 avril 1997 et entré en vigueur le 1er anvier 1998, publié au JO OHADA na 3 du 1 er octobre 1997; sur les procédures collectives d’apurement du passif (258 articles) adopté le 10 avril 1998, publié au JO OHADA na 7 du 1er juillet 1998 et entré en vigueur le 1er janvier 1999; sur les procédures simplifiées de recouvrement et les voies d’exécution (338 articles) adopté le IO avril 1 998 et Rev- dr. unif. 1999-1 Joseph Issa-Sayegh constituent un champ d’investigation assez vaste (près de 2000 articles) pour autoriser une étude significative.
L’examen de ces textes 12 révèle que l’élaboration des Actes uniformes et leur pplication obéissent à une technique, sinon originale, du moins audacieuse, afin de procurer à la supranationalité et à l’uniformisation le maximum d’efficaclté. Mals l’ampleur de la tâche assignée à I’OHADA et la fermeté qu’on veut attacher au droit uniforme ne vont pas sans difficultés. Ce sont les aspects techniques de cette démarche et des difficultés qu’elle engendre ue la résente étude a pour objectif de mettre en évidence. PAGF 7 OF sg clairement exprimées quant à la détermination des matières juridiques ? uniformiser, aux procédures d’uniformisation à suivre et à la ormulation du droit uniformisé.
Mais une lecture plus attentive des textes, rapprochée de l’expérience, révèle que des incertitudes et des hésitations sont permises sur ces trois plans tenant aussi bien à la rédaction des textes qu’aux obstacles que les réalités économiques et sociales opposent à l’uniformisation. I LES INCERTITUDES SUR LA DETERMINA ION DES MATIERES A UNIFORMISER 6. – A priori, aucune incertitude ne devrait peser sur la détermination du droit substantiel à uniformiser dans la mesure où le domaine de l’uniformisation est expressément défini par le Traité. Pourtant, le principe posé par le Traité lui-même n’apparait pas aussi nettement qu’on le souhaiterait si bien qu’on peut hésiter sur son contenu et ses contours,’ en outre, les Ilmltes imposées à l’œuvre d’uniformisation de I’OHADA sur le terrain même qu’elle s’est choisi, sont nombreuses. A. Le principe posé par le Traité 7. Le champ de compétence de I’OHADA est décrit dans l’article 1er du Traité qui énonce que le « Traité a pour objet ‘harmonisation du droit des affaires dans les Etats parties » étant entendu « qu’entrent dans le domaine du droit des affaires l’ensemble des règles rela s sociétés et au statut PAGF BOF comptable, au droit de la vente et des transports et toute entré en vigueur le 10 juillet 1998, publié au JO OHADA n06 du 1er juin 1998. Ces Actes seront désignés respectivement, dans cet article, par les initiales suivantes: AUDCG; AUSC; Aljs; AUPC; AUPVE. pour une présentation détaillée du contenu de ces Actes, voir ISSA SAYEGH, op. Cit. supra note 2. 12 Pour une présentation générale de tous ces textes, voir les articles de MM. K. MBAYE (Avantpropas), M. KIRSCH (Historique de I’OHADA), A. FENEON et A D ELABRIERE (Présentation de l’Acte uniforme ur le droit commercial général), J. -R. G OMEZ (Un nouveau droit de la vente commerciale en Afrique), Daniel TAPIN (Droit des sociétés commerciales et CIE) et J.
ISSA SAYEGH (Présentation de l’Acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement des créances et les voies d’exécution) in Recueil Penant, numéro spécial OHADA, n. 827, 1998. Voir également Cahiers juridiques et fiscaux, CFCE, 1998, no 2, Dossier Harmonisation du droit des affaires OHADA. Adde la bibliographie citée en fin d’artlcle. Unif. L. Rev. 1999-1 autre matière que le Conseil des ministres déciderait, ? ‘unanimité, d’y inclure conformément à l’objet du Traité et aux dispositions de l’article 8″ (article 2). C’est cette double référence au droit des affaires et à l’objet du Traité qui jette le tant le champ de ce droit est vaste.
Si on s’accorde, au sens étroit, à dire que le droit des affaires coïncide avec le droit commercial, dans une acception large, il englobe la réglementation des différentes composantes de la vie économique: ses cadres juridiques (rég ementation du crédit, de la concurrence … ); ses acteurs (commerçants, sociétés, intermédiaires du commerce les biens et en,’ices qui en sont l’objet; les activités économiques (production, distribution, consommation De la sorte, il se rapproche du droit économique avec lequel on le compare volontiers, lequel désigne l’ensemble des règles de droit concourant ? l’organisation et au développement de l’économie industrielle (et commerciale) relevant de l’État, de l’initiative privée ou du concours de l’un et de l’autre 13. 9. La délimitation du champ juridique à uniformiser n’est pas plus aisée si on se réfère aux objectifs du Traité énoncés dans le Préambule et reprls par les dispositions du corps de celui-ci. En effet, si on onsidère les déclarations des Etats parties contenues dans le Préambule, on s’aperçoit que les auteurs du Traité visent aussi ? créer pour les entreprises un environnement économique 14, juridique 15 et judiciaire 16 sécurisant, ce qui les conduira à aller au-delà de la liste de l’article 2. On doit donc considérer cette liste comme indicative et non exhaustive et son contenu comme le répertoire des matières constituant le noyau dur (ou une partie de celui-ci) du droit des affaires qu’il était nécessaire et urgent d’uniformiser. Toutefois, il ne faut pas exagérer la po emarque. En effet, si la